Retraite à points : la tentation de Lecornu

La réforme des retraites revient sur la table en 2026. Au cœur du débat : la retraite à points, un modèle qui suscite autant d’espoirs que de craintes.

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En voie d’être suspendue, la réforme des retraites rouvre un vieux dossier : la retraite à points. Le gouvernement Lecornu, confronté à un climat social chargé, a mis en pause le relèvement de l’âge légal à 64 ans, mais n’a pas renoncé à revoir le système en profondeur. Une conférence sociale est annoncée pour le printemps 2026. Et parmi les pistes sur la table : un régime universel à points. Une idée déjà avancée, puis enterrée en 2020, mais qui revient régulièrement dans les cartons. Pourquoi ce modèle divise-t-il autant ? Et comment fonctionne-t-il concrètement ?

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Comment sont convertis les points en droits retraite

Le principe est simple dans sa mécanique : chaque euro cotisé donne droit à un certain nombre de points. Ces points s’accumulent tout au long de la carrière. Ils ne permettent pas immédiatement de partir à la retraite, mais représentent une sorte de “capital de droits”, comptabilisé sur un compte individuel.

Prenons l’exemple du régime complémentaire Agirc-Arrco, déjà géré selon ce principe. En 2025, chaque salarié acquiert des points en divisant ses cotisations par un “prix d’achat du point”, fixé cette année-là à 20,1877 euros. Le nombre de points dépend aussi du niveau de salaire, avec deux tranches de cotisation : 6,20 % jusqu’à 47 100 euros et 17 % au-delà, jusqu’à 376 800 euros. Un salarié gagnant 50 000 euros brut par an en 2025 obtient environ 169 points dans l’année. Ces points s’ajoutent à ceux des années précédentes.

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Quel montant de pension pour un nombre de points donné ?

Au moment du départ à la retraite, tous les points sont convertis en pension selon une “valeur de service du point”. En novembre 2024, cette valeur était de 1,4386 euro. Le calcul est donc mathématique : 5 000 points donnent droit à 7 193 euros bruts de pension annuelle, soit 599 euros mensuels.

Mais ce chiffre peut évoluer. Et c’est là que le bât blesse : la valeur du point est décidée chaque année. Elle est censée suivre l’inflation ou les salaires, mais reste soumise aux équilibres entre partenaires sociaux. En 2025, aucun accord n’a été trouvé. Résultat : gel des pensions pour 14 millions de retraités.

Pourquoi la retraite à points divise autant les syndicats

Ses partisans y voient un système plus lisible et plus souple. La CFDT, qui le soutient de longue date, insiste sur sa capacité à mieux prendre en compte les carrières hachées, les travailleurs multi-régimes et la pénibilité. Pour elle, il s’agit d’un système « à la carte », où chacun choisit son âge de départ en fonction de ses points. L’économiste Philippe Aghion, prix Nobel 2025, y voit un levier d’autonomie : le salarié connaît ses droits et peut anticiper.
Des think tanks libéraux, comme Fondapol ou l’Institut Montaigne, y ajoutent un argument de responsabilisation : chacun cotise, chacun récolte. Certains y voient même une opportunité d’introduire un volet de capitalisation, à la marge.

Mais l’opposition est tout aussi structurée. CGT, FO, Solidaires dénoncent un système instable, où les pensions peuvent fondre selon des décisions annuelles. Le passage d’un calcul basé sur les 25 meilleures années (dans le privé) ou les 6 derniers mois (dans le public) à une moyenne sur l’ensemble de la carrière pénalise mécaniquement les parcours heurtés ou ascendants. Sans compter le risque politique : une majorité peut geler les pensions, comme en 2025.
La gauche politique – LFI, PS, PCF, EELV – y voit un affaiblissement de la solidarité. Le Rassemblement National, sur un registre différent, défend le retour à un âge légal plus bas et rejette également la logique individualisée du point.

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Capitalisation ou répartition : une ligne rouge syndicale

Le système à points reste un système par répartition : les cotisations des actifs financent toujours les pensions des retraités. Mais la logique d’accumulation individuelle, combinée à l’incertitude sur la valeur future du point, alimente les soupçons d’un virage vers la capitalisation. D’autant que certaines voix proposent d’investir une part des cotisations sur les marchés financiers. Un tabou pour FO, la CGT ou Solidaires, qui dénoncent un “démantèlement masqué” du modèle de 1945.

La promesse de liberté – partir quand on veut – masque des inégalités. Pour un salarié aux faibles revenus, ou à la carrière pénible, cette “liberté” signifie souvent : travailler plus pour ne pas sombrer dans la pauvreté.

En 2025, la CFDT et le Medef ont obtenu que trois critères de pénibilité soient intégrés au compte professionnel de prévention. Mais aucun d’entre eux ne donne droit à un départ anticipé : seulement à de la formation ou à une reconversion. Une mesure que l’UNSA juge insuffisante.

Les poly-pensionnés, eux, pourraient y gagner : un système unique efface les découpages entre régimes. Mais cette “harmonisation” se fait aussi au détriment de certains avantages statutaires, notamment dans la fonction publique.

Quelle issue politique pour la retraite à points en 2026 ?

La retraite à points cristallise deux visions irréconciliables : l’une fondée sur les droits individuels, l’autre sur la solidarité collective. La première met l’accent sur la transparence et la liberté. La seconde sur la sécurité et la redistribution.
Ce n’est pas un débat technique, mais politique. Il pose une question de fond : comment, en tant que société, voulons-nous protéger les anciens ? Le système à points n’est ni bon ni mauvais en soi. Mais il dit quelque chose du contrat social que la France veut redessiner.
Le débat est suspendu, pas éteint. La conférence sociale de 2026 sera décisive. Et, en ligne de mire, l’élection présidentielle de 2027.



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