Un missile à 1 milliard d’euros : vraiment indispensable ?

La France investit un milliard d’euros dans un nouveau missile longue portée, malgré un contexte budgétaire tendu et des coupes dans les services publics.

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L’heure est à la rigueur budgétaire. Le gouvernement martèle qu’il faut réduire les dépenses publiques, retarder des embauches, tailler dans les aides, réviser les niches fiscales. Mais au même moment, il engage un milliard d’euros dans le développement d’un nouveau missile balistique terrestre. Une somme considérable pour une seule capacité militaire, dans un pays qui demande à ses citoyens de faire des efforts sur tous les fronts.

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Une dépense spectaculaire dans un climat de tension budgétaire

Ce programme, baptisé MBT, vise à doter la France d’un missile conventionnel capable de frapper au-delà de 2 000 kilomètres. Il sera conçu par ArianeGroup, déjà maître d’œuvre des missiles nucléaires stratégiques. Le lancement du projet est acté dans le budget 2026 : 900 millions d’euros seront engagés dès l’an prochain, sur une autorisation totale d’un milliard. La première tranche, 15,6 millions d’euros, financera des études de faisabilité.

Le contraste est saisissant. Alors que Bercy multiplie les signaux d’alarme sur l’endettement, que la Cour des comptes fustige la trajectoire des finances publiques, la Défense, elle, voit son budget passer de 50,5 à 57,1 milliards d’euros hors pensions. Une hausse de près de 13 % en un an. La plus forte depuis des décennies.

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Une justification stratégique

Pour l’exécutif, cette dépense est justifiée. Le missile MBT doit permettre à la France de combler un vide capacitaire. Les missiles de croisière actuels, comme le SCALP ou le MdCN, plafonnent à 400 kilomètres. Le MBT permettra de frapper cinq fois plus loin, tout en restant en deçà du seuil nucléaire. Une réponse aux conflits de haute intensité, où la vitesse et la portée deviennent des éléments clés de la supériorité tactique.

Les données venues d’Ukraine pèsent lourd dans la balance. Les missiles balistiques russes, comme l’Iskander-M, résistent mieux aux systèmes d’interception que les missiles de croisière. En septembre 2025, leur taux d’interception est tombé à 6 %, contre 37 % un mois plus tôt. Le 21 novembre 2024, la Russie a franchi un seuil symbolique en frappant Dnipro avec un missile balistique intermédiaire, Orechnik, équipé de six têtes indépendantes. Le message est clair : la balistique conventionnelle est redevenue un outil central du champ de bataille.

Un choix politique sur fond de réarmement généralisé

La décision d’investir massivement dans le MBT s’inscrit dans une tendance de fond. L’Europe se réarme, les menaces géopolitiques s’accumulent, les conflits s’intensifient. Pour Paris, rester en retrait n’est plus une option. Mais il y a une différence entre réarmer prudemment et lancer un missile à un milliard.

Dans un climat où chaque euro est compté — pour l’hôpital, l’éducation, la transition énergétique — l’ampleur de cette dépense interroge. Elle illustre les priorités d’un État qui, face aux contraintes budgétaires, choisit clairement où il accepte de dépenser sans compter.

ArianeGroup, au cœur du projet

Côté industriel, le choix d’ArianeGroup est logique. Le groupe développe déjà le missile stratégique M51.4, qui équipera les futurs sous-marins nucléaires. Il a aussi réalisé le premier vol du planeur hypersonique VMaX en 2023, avec un second démonstrateur (VMAX2) attendu d’ici fin 2025. La maîtrise technologique est là. Le savoir-faire aussi. Reste à savoir si la soutenabilité budgétaire suivra.

Le programme MBT vient s’ajouter à d’autres investissements lourds dans la défense : le FLP-T (frappe longue portée terrestre) pour remplacer les lance-roquettes unitaires ; Odin’s Eye, constellation de satellites franco-allemands pour détecter les tirs de missiles ; ou encore la relance de la coopération européenne à travers l’initiative ELSA, destinée à mutualiser les efforts sur les armes à longue portée.

La France stratégique, mais sélective

Derrière ce milliard, il y a un choix stratégique. Ne pas dépendre des États-Unis pour des capacités critiques. Ne pas rester spectatrice alors que la Russie, la Chine et les États-Unis accélèrent leur développement d’armes balistiques et hypersoniques. Mais ce choix a un coût — et un sens politique.

Un missile balistique à portée de 2 000 kilomètres, en pleine cure d’austérité budgétaire, en dit long sur les priorités du moment. La sécurité, certes. Mais pour la solidarité, il faudra attendre.



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