Mammographie à 40 ans : ce que cachent les chiffres

Dépistage du cancer du sang dès 40 ans : entre surdiagnostics, radiations et angoisse, la mammographie précoce divise.

Afficher le résumé Masquer le résumé

Face à une hausse des cas précoces, la France s’interroge sur l’opportunité de commencer la mammographie systématique dès 40 ou 45 ans. Le bénéfice en termes de mortalité reste discuté, alors que les risques de surdiagnostic et d’effets indésirables sont bien établis.

A LIRE AUSSI
Vers un contraceptif sans hormone pour remplacer la pilule

La France détient depuis 2024 le taux d’incidence du cancer du sein le plus élevé au monde : plus de 105 cas pour 100 000 femmes. En 2023, 61 214 nouveaux cas ont été recensés, entraînant près de 13 500 décès. La progression est particulièrement marquée chez les femmes de moins de 50 ans. Les projections estiment une augmentation de 13 % de l’incidence d’ici à 2050, et jusqu’à 37 % pour la mortalité. Plusieurs experts pointent un rôle croissant des facteurs environnementaux comme les perturbateurs endocriniens, les pesticides ou la pollution atmosphérique.

Dépistage à partir de 50 ans : un cadre remis en question

En France, le programme de dépistage organisé repose sur une mammographie tous les deux ans pour les femmes âgées de 50 à 74 ans, sans symptôme ni facteur de risque. Mais cette stratégie est remise en question. En janvier 2025, la Haute Autorité de Santé (HAS) a été saisie pour évaluer l’intérêt d’abaisser l’âge du premier dépistage à 45 ans, voire 40 ans. Aux États-Unis et au Canada, les recommandations sont déjà passées à 40 ans. En France, les discussions restent ouvertes.

Les défenseurs d’un dépistage plus précoce mettent en avant la hausse des formes agressives chez les femmes jeunes. Les opposants soulignent un bénéfice modeste en termes de réduction de mortalité, assorti d’un risque accru de surdiagnostic, d’anxiété, et de traitements inutiles.

A LIRE AUSSI
Cancer : Céline Lazorthes, l’entrepreneuse qui bouscule les codes

Quels sont les bénéfices réels du dépistage ?

Chez les femmes de 50 à 69 ans, les données montrent que le dépistage permet d’éviter entre 4 et 6 décès pour 1 000 femmes suivies pendant 20 ans. Mais cet effet, bien que réel, reste limité au regard des risques associés.

Le surdiagnostic, longtemps sous-estimé, est aujourd’hui évalué à environ 35 % des cancers détectés. Il concerne principalement des lésions qui n’auraient jamais évolué, notamment les carcinomes canalaires in situ (CCIS). Malgré les débats, la majorité de ces cas continue d’être traitée de manière radicale en France, même lorsqu’une simple surveillance pourrait suffire.

Effets indésirables : faux positifs, faux négatifs et anxiété

La mammographie est loin d’être infaillible. Chez les femmes aux seins denses — environ 35 % de la population féminine — un cancer sur quatre peut échapper à la détection avant 50 ans. À cela s’ajoute un taux élevé de faux positifs : entre 50 et 60 % des femmes ayant effectué dix ans de dépistage reçoivent au moins un résultat faussement inquiétant. Ces alertes inutiles entraînent examens complémentaires, stress, et parfois des biopsies.

Plus inquiétant encore, plusieurs études montrent que les femmes ayant vécu un faux positif sont moins enclines à poursuivre le dépistage, tout en présentant un risque accru de cancer réel et de mortalité.

Un rapport bénéfice-risque défavorable avant 50 ans

Chez les femmes âgées de 40 à 49 ans sans facteur de risque particulier, les essais cliniques ne montrent pas de réduction significative de la mortalité par cancer du sein. En revanche, le taux de faux positifs est plus élevé, et l’exposition aux rayonnements plus problématique. La radiosensibilité des tissus jeunes augmente le risque de cancers radio-induits. Ces risques, bien que faibles à l’échelle individuelle, deviennent significatifs à l’échelle populationnelle : jusqu’à 20 décès pour 100 000 femmes dépistées dès 40 ans.

Les autorités sanitaires insistent sur l’importance d’informer les femmes de manière claire sur ces données, de limiter les examens répétitifs et de tracer les doses de rayonnement.

La densité mammaire, un facteur doublement problématique

La densité mammaire est un facteur encore largement sous-estimé dans les politiques de dépistage. Présente chez un tiers des femmes, elle rend les mammographies plus difficiles à interpréter et augmente de 4 à 5 fois le risque de développer un cancer. Or, les examens complémentaires comme l’échographie ou l’IRM ne sont pas systématiquement proposés en dehors des cas à haut risque. Cette lacune contribue à un nombre élevé de cancers dits « d’intervalle », diagnostiqués entre deux mammographies.

La tomosynthèse, ou mammographie 3D, améliore la détection chez les femmes à seins denses, tout en réduisant la dose de rayonnement. Les essais européens de 2024-2025 montrent une hausse du taux de détection sans augmentation du nombre de faux positifs.

L’intelligence artificielle (IA) pourrait bouleverser la pratique dans les prochaines années. L’essai MASAI, mené en Suède en 2025, révèle une détection accrue de 29 % des cancers et une réduction de la charge de travail des radiologues. Mais l’IA détecte aussi davantage de lésions de pronostic incertain, posant de nouvelles questions sur le surdiagnostic.

Une participation en baisse continue en France

Le taux de participation au dépistage organisé stagne à 44 % en 2024, bien en deçà des objectifs européens (70 %). Plusieurs facteurs expliquent cette désaffection : douleur de la compression, effets psychologiques des fausses alertes, manque d’information personnalisée, méfiance envers les institutions de santé.

Certaines solutions, comme l’auto-compression — où la femme gère elle-même la pression exercée lors de la mammographie — ont montré une meilleure tolérance, mais restent peu déployées en France.

Des stratégies spécifiques pour les femmes à haut risque

Les femmes porteuses des mutations génétiques BRCA1 ou BRCA2 — environ 2 pour 1 000 — bénéficient d’un suivi renforcé : IRM et mammographie dès l’âge de 30 ans, souvent complétés par une échographie. La mastectomie préventive fait aussi partie des options. Ce suivi, hors dépistage organisé, soulève la question de l’exposition répétée aux rayons X chez des patientes déjà sensibles aux effets des radiations.

Vers un dépistage personnalisé selon le niveau de risque

L’essai européen MyPeBS, en cours jusqu’en 2026, teste un dépistage basé sur le niveau de risque individuel : antécédents familiaux, facteurs génétiques, densité mammaire, mode de vie, etc. L’objectif est de proposer un programme plus adapté à chaque profil, en réponse aux limites du modèle unique actuel.

Cette approche permettrait de cibler les femmes les plus exposées, tout en réduisant les effets indésirables pour celles qui le sont moins. Mais elle implique un changement profond dans la manière dont l’information est communiquée : les femmes doivent pouvoir consentir à un dépistage éclairé, libre, renouvelé et fondé sur des données claires.



L'Essentiel de l'Éco est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Publier un commentaire