Afficher le résumé Masquer le résumé
À 27 ans, Shayne Coplan est à la tête d’un empire improbable : Polymarket, une plateforme où l’on mise sur le futur comme on achète une action. Élections, conflits, résultats économiques… tout peut devenir un produit de pari. Une idée provocatrice, mais efficace, qui redessine les frontières entre information, spéculation et régulation.
A LIRE AUSSI
Mohed Altrad, le bédouin milliardaire
En 2020, Coplan n’est encore qu’un étudiant new-yorkais en informatique. Quatre ans plus tard, il détient 11 % de Polymarket, valorisée 9 milliards de dollars. Son capital personnel est estimé à un milliard. Un parcours rapide, loin du modèle flamboyant de la tech californienne.
Coplan parle peu. Il préfère publier sur X (ex-Twitter), où il défend une idée simple : l’intelligence collective peut produire des signaux plus fiables que les institutions. Sa vision : faire de Polymarket un indicateur mondial, en temps réel, de ce que pense le public informé.
Le marché prédictif, version blockchain
Le fonctionnement est limpide. Les utilisateurs misent sur des issues binaires : “Donald Trump finira-t-il en prison ?”, “La Fed remontera-t-elle ses taux en novembre ?”. Si la prédiction se réalise, ils empochent leur mise. Sinon, elle va aux autres.
Chaque transaction est enregistrée sur la blockchain. Les cryptomonnaies servent de support. Résultat : une traçabilité parfaite, des frais quasi nuls, et un taux de précision revendiqué de 95,2 % à quatre heures d’un événement. Même un mois avant, la plateforme affiche 91,1 %. De quoi séduire investisseurs et analystes à la recherche d’un baromètre alternatif.
A LIRE AUSSI
Bertrand Rondepierre, cet inconnu qui dirige l’IA militaire française
Parier sur la guerre ou les urnes : jusqu’où aller ?
Polymarket ne s’interdit rien. On peut parier sur une victoire de l’Ukraine, un retour de Trump, ou la faillite d’un géant tech. À condition que l’événement soit observable, mesurable, et formulé sans ambiguïté.
Lors de la présidentielle américaine de 2024, la plateforme a anticipé la victoire de Donald Trump six heures avant les médias. Volume échangé : 3,7 milliards de dollars. Une performance qui renforce la crédibilité du modèle, mais qui soulève aussi une question : peut-on transformer chaque événement du monde réel en actif spéculatif ?
Wall Street entre dans la danse
En octobre 2025, Intercontinental Exchange (ICE), maison-mère du New York Stock Exchange, injecte 2 milliards de dollars dans Polymarket. L’opération donne lieu à un partenariat : ICE distribuera les données produites par les paris prédictifs à ses clients institutionnels.
Derrière cette alliance, une idée : utiliser les marchés de prédiction comme indicateur de sentiment collectif, complémentaire aux signaux traditionnels. Pour certains, c’est le début d’une nouvelle classe d’actifs. Pour la CFTC, il s’agit d’« une frontière importante » à encadrer.
En 2022, la CFTC avait forcé Polymarket à fermer ses portes aux Américains. Motif : absence d’enregistrement comme marché à terme. Mais la start-up a fini par trouver la parade. En juillet 2025, elle rachète QCX, une société régulée, pour 112 millions de dollars. Deux mois plus tard, elle obtient une lettre de non-action.
Résultat : Polymarket est à nouveau accessible depuis les États-Unis depuis septembre. Objectif annoncé : doubler le volume de paris certifiés pour atteindre 500 millions de dollars mensuels d’ici la fin de l’année.
Soupçons de manipulation et chasse aux volumes
Le modèle attire, mais il dérape aussi. En octobre 2024, des analystes ont pointé un phénomène massif de wash trading sur les marchés électoraux : des transactions artificielles pour gonfler les volumes. Une pratique illégale dans la finance classique.
Pourquoi ? Pour se positionner sur le futur jeton POLY, prévu pour 2026. Plus un utilisateur est actif, plus il a de chances d’en recevoir. Et comme les frais sont nuls, certains multiplient les transactions pour se tailler la part du lion. Polymarket assure travailler sur des filtres pour limiter ces excès.
Coplan ne prétend pas remplacer les médias. Il propose autre chose : un mécanisme pour quantifier l’opinion informée. En agrégeant les mises de milliers d’utilisateurs, Polymarket produit une probabilité. Et cette probabilité devient un prix. C’est ce prix que suivent désormais des investisseurs. Demain, peut-être, des décideurs publics.
Le pari devient ainsi un outil d’engagement sur le futur. Un mode de production de connaissance qui reflète l’époque : rapide, désintermédiée, collective — et, parfois, brutale.


