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Dans un long – et passionnant – entretien accordé le 18 octobre au magazine Alternatives Économiques, le banquier d’affaires Matthieu Pigasse, dresse un réquisitoire contre le capitalisme contemporain, la concentration des richesses et la peur entretenue autour de la dette publique.
Il propose des solutions radicales : annulation partielle de la dette, taxation des ultra-riches, retour d’un État stratège et régulation des médias dominés par les grandes fortunes. Un discours offensif qui bouscule les lignes économiques et politiques, porté par une figure paradoxale : un banquier d’affaires qui se veut critique du système qu’il incarne. Pigasse décrit un monde au bord de la rupture. Crises climatiques, tensions géopolitiques, populismes en hausse, démocratie fragilisée, fracture sociale… Pour lui, ces dérèglements ne sont pas isolés : ils sont les symptômes d’un capitalisme devenu structurellement inégalitaire. Il s’appuie sur l’historien Walter Scheidel, qui montre que l’histoire ne corrige les inégalités que par des chocs violents : guerres, révolutions, pandémies.
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Pigasse prévient : à laisser s’aggraver les écarts de richesse, la France s’expose à une nouvelle rupture. Le constat est brutal : 10 millions de Français sous le seuil de pauvreté ; les 500 plus grandes fortunes pèsent 42 % du PIB, contre 6 % il y a trente ans. Une concentration qu’il juge économiquement inefficace et politiquement dangereuse.
Dette publique : pourquoi Pigasse parle d’une peur fabriquée
Sur la dette, Pigasse ne mâche pas ses mots. Il parle d’une peur « fabriquée », alimentée selon lui pour justifier l’austérité. Pas de crise de liquidité, pas de problème de solvabilité, rappelle-t-il. Rien à voir avec la Grèce ou l’Argentine. Il propose, comme en 2013, une annulation partielle de la dette détenue par la BCE. Il assure que cela n’aurait pas d’effet inflationniste massif, prenant l’exemple du « quoi qu’il en coûte », qui n’a pas dérapé malgré la création monétaire. Il appelle à relativiser les 70 milliards d’euros de service annuel de la dette : un chiffre à comparer aux 85 milliards de niches fiscales ou aux 210 milliards d’aides aux entreprises, dont il conteste l’efficacité.
Une taxe sur les ultra-riches que Pigasse paierait lui-même
Autre levier proposé : une fiscalité sur les très grandes fortunes. Pigasse soutient la taxe Zucman, ciblant les patrimoines au-delà de 100 millions d’euros. Il se dit concerné et prêt à la payer. Son argument est simple : aujourd’hui, les plus riches paient moins que les classes moyennes. Il avance un chiffre : 26 % d’imposition effective pour les milliardaires, contre 51 % pour la majorité des contribuables. Il dénonce aussi une « fortune immobile », c’est-à-dire un capital qui dort, ni investi ni productif. Le taxer, dit-il, permettrait de réinjecter des moyens dans l’économie réelle et les services publics.
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L’État doit redevenir un acteur économique central
Pigasse défend une action publique renforcée. Les crises de 2008 et du Covid ont montré, selon lui, l’échec de l’autorégulation des marchés. L’État doit redevenir un acteur stratégique, garant de la cohésion sociale. Trois axes : justice économique, démocratie participative, accès à la culture et à l’éducation. Il défend les dépenses sociales comme un investissement, pas une charge. Il rejette la réforme des retraites, qu’il qualifie d’injuste et inutile. Les chiffres du Conseil d’orientation des retraites (COR) l’appuient, dit-il : le système est globalement équilibré, et une légère hausse du financement suffirait.
Pourquoi Pigasse veut une contre-offensive culturelle
Pigasse voit dans la montée de l’extrême droite une conséquence directe des inégalités et de l’abandon du terrain culturel par la gauche. Il appelle à une reconquête sur trois fronts : justice sociale, sécurité — comprise comme protection des plus vulnérables — et universalisme. Il rejette les approches identitaires, qu’il juge clivantes. Il veut aussi rééquilibrer le paysage médiatique. Son engagement dans les médias et les festivals ne vise pas seulement à divertir, mais à faire contrepoids à ce qu’il appelle la « mainmise conservatrice ». Il soutient une régulation renforcée des plateformes numériques. Il approuve la décision de l’Arcom de retirer la licence de C8 : un signal, selon lui, face à la dérive de certains médias.
Matthieu Pigasse avance des solutions : réforme fiscale, annulation de dette, renforcement de l’État. Il plaide pour un changement de cap profond, à contre-courant des idées dominantes. Reste à savoir si ces propositions trouveront un écho. Ou si elles resteront, comme souvent, des discours lucides mais sans prise sur les choix politiques.