L’Oréal, nouvel ogre mondial du luxe

Kering abandonne Creed et Gucci Beauté, L’Oréal saute sur l’occasion. Voici pourquoi ce deal pourrait changer l’équilibre mondial du luxe.

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L’Oréal change de dimension. En mettant la main sur Kering Beauté pour 4 milliards d’euros, le géant français signe la plus grosse acquisition de son histoire et franchit un cap stratégique. Le groupe dirigé par Nicolas Hieronimus renforce sa position de leader mondial dans la beauté de luxe. À l’inverse, Kering, affaibli, se recentre sous pression. L’opération accélère la recomposition d’un secteur où les lignes entre cosmétique et luxe sont de plus en plus floues.

Une transaction record pour L’Oréal

Annoncée dimanche soir, l’opération inclut la maison Creed, rachetée par Kering en 2023, ainsi que les licences beauté de Gucci, Balenciaga et Bottega Veneta, valables pour 50 ans à partir de 2028. Un accord de coentreprise sur le bien-être complète le tout. La finalisation est attendue pour le premier semestre 2026, après le feu vert des autorités de la concurrence. Jamais L’Oréal n’avait déboursé autant en 116 ans d’existence. L’achat dépasse nettement celui d’Aesop en 2023 (2,5 milliards de dollars).

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Depuis sa prise de fonction en 2021, Nicolas Hieronimus mène une stratégie offensive. CeraVe, Aesop, Medik8, et maintenant Creed : le patron multiplie les cibles pour ancrer L’Oréal dans les segments premium. L’ambition est claire : s’imposer dans les marchés à forte croissance, séduire de nouveaux profils de consommateurs et injecter toujours plus de technologie dans la beauté. Une stratégie qui a valu à L’Oréal les titres de groupe européen le plus innovant (Fortune) et d’une des 100 entreprises les plus influentes au monde (Time).

Trois coups en un

Avec ce rachat, L’Oréal sécurise trois leviers décisifs.

1. Une entrée musclée dans la parfumerie de niche.
Creed pèse 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une marge opérationnelle au-dessus de 20 %. Un modèle d’exclusivité qui plaît aux jeunes générations et positionne L’Oréal sur un segment en forte progression : le marché des parfums de niche pourrait quasiment doubler d’ici 2033.

2. La mainmise sur des marques iconiques.
Gucci, Balenciaga, Bottega Veneta : les licences beauté de ces maisons rejoignent un portefeuille déjà bien garni (YSL, Armani, Prada, Valentino…). L’Oréal étend son empire et s’installe face à LVMH comme le gestionnaire de référence du luxe cosmétique. Des discussions sont même en cours pour une entrée au capital de Giorgio Armani.

3. Le renforcement d’un leadership mondial.
Avec 25 marques avant même cette acquisition, L’Oréal Luxe a pris en 2024 la tête du marché américain. Sur les six premiers mois de 2025, la division a généré 7,65 milliards d’euros, en croissance soutenue, notamment dans le parfum. Le modèle maison – rachat, structuration, accélération – continue de faire ses preuves. CeraVe en est l’exemple le plus parlant, passée de 140 millions à 2 milliards d’euros de ventes en huit ans.

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Kering vend sous pression

Côté vendeur, l’heure est au repli. Arrivé mi-septembre, le nouveau DG Luca de Meo n’aura pas traîné : en un mois, il a tourné la page Kering Beauté. En difficulté financière, le groupe n’avait guère le choix. Ses revenus ont plongé de 16 % au premier semestre, son bénéfice net a fondu de moitié, et sa dette a explosé à 9,5 milliards d’euros. Créée en 2023, la division beauté affichait encore une perte d’exploitation de 60 millions d’euros début 2025.

L’objectif est donc clair : alléger le bilan. La vente à L’Oréal permet un désendettement partiel immédiat, tout en assurant à Kering des revenus récurrents via les royalties versées sur les licences. Une manière de rester connecté à la beauté sans en porter les risques.

Les marchés ont salué cette inflexion. Le 20 octobre, l’action Kering a bondi de 4,8 %, plus forte hausse du CAC 40. Celle de L’Oréal a également progressé.

Une recomposition du luxe en marche

Ce rachat confirme un basculement du secteur. La beauté devient un pilier stratégique pour les groupes de luxe. Coty, qui perdra Gucci en 2028, a chuté en Bourse (-3,9 %). LVMH, Estée Lauder, Puig et Shiseido suivent le dossier de près. À mesure que les consommateurs recherchent des marques fortes, des produits sur mesure et une innovation constante, la maîtrise de la chaîne – du design au canal de distribution – devient essentielle.

Intégration délicate, enjeux multiples

L’intégration de Kering Beauté ne sera pas simple. Un comité stratégique L’Oréal-Kering sera mis en place pour accompagner la transition. Objectif : respecter l’identité de maisons comme Gucci ou Balenciaga tout en leur faisant bénéficier de la machine L’Oréal.

La coentreprise sur le bien-être et la longévité ouvre un nouveau front. À la frontière entre cosmétique, santé et lifestyle, ce projet vise une clientèle en quête d’exclusivité et de performance. L’idée : croiser la puissance R&D de L’Oréal avec l’univers culturel des marques Kering. Un pari à long terme.



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