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Les centres de données ont beau faire tourner les serveurs du monde numérique, ils ne tournent pas à vide. En pleine course mondiale à l’intelligence artificielle et à la cryptomonnaie, leur prolifération inquiète sérieusement les Nations Unies. Dans un rapport présenté à l’Assemblée générale, le Rapporteur spécial sur les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement tire la sonnette d’alarme : ces infrastructures grignotent une part croissante des ressources hydriques et énergétiques, sans contrôle ni transparence. Il demande un moratoire immédiat.
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Intitulé Le Nœud entre eau et énergie, le rapport détaille les impacts environnementaux de la montée en puissance du cloud et de l’intelligence artificielle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 10 000 centres de données sont actuellement opérationnels dans le monde. Leur fonctionnement repose sur un refroidissement constant, très gourmand en eau et en électricité. D’ici à 2027, leur consommation annuelle d’eau pourrait se situer entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes. À titre de comparaison, c’est l’équivalent de la consommation annuelle d’un pays comme le Japon.
Les États-Unis étaient déjà en 2018 dans le top 10 des secteurs industriels les plus consommateurs d’eau, avec une empreinte hydrique de 513 millions de mètres cubes rien que pour les data centers. Et ce n’est qu’un début.
Une électricité de plus en plus disputée
Côté énergie, la facture est tout aussi salée. Le Département américain de l’Énergie anticipe que les data centers pourraient bientôt engloutir jusqu’à 12 % de l’électricité du pays. Pour répondre à la demande croissante, certains acteurs lorgnent vers des mini-réacteurs nucléaires ou la construction de nouvelles centrales thermiques. Une fuite en avant technologique qui va à contre-courant des objectifs climatiques mondiaux.
Le rapport met en garde : les infrastructures numériques, si elles continuent sur leur lancée, pourraient enclencher une nouvelle génération de projets énergétiques polluants. Une spirale qui remet en cause la transition écologique pourtant affichée comme priorité par de nombreux gouvernements.
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À contretemps, Donald Trump, de retour à la Maison-Blanche depuis 2025, a annoncé un méga-plan de 500 milliards de dollars pour accélérer le développement de l’IA. Le programme comprend la construction de nouveaux centres de données et d’infrastructures énergétiques dédiées. Présenté comme le plus grand chantier d’infrastructure technologique de l’histoire, il est pointé du doigt par le rapporteur onusien comme un non-sens écologique.
Le grand trou noir de la transparence
Au-delà des volumes, c’est le manque d’informations qui pose problème. Dans de nombreux pays, les autorités n’ont tout simplement pas de données fiables sur la consommation d’eau et d’électricité des centres. En Irlande, le ministère de l’Environnement a reconnu devant le Parlement ne pas tenir de registre à ce sujet, alors même que le pays abrite un grand nombre de ces installations.
Cette opacité est un obstacle majeur à toute régulation, surtout en cas de sécheresse ou de tension sur les réseaux. Le rapport pose la question qui fâche : dans des contextes de rareté, les data centers sont-ils prioritaires par rapport à l’agriculture ou à l’usage domestique ? Sans règles claires, le risque est réel que des accords privés l’emportent sur l’intérêt général.
Le rapport ne s’arrête pas à l’écologie. Il établit un lien direct entre les data centers et la mise en péril des droits fondamentaux, en particulier l’accès à l’eau potable et à une électricité abordable. En période de stress hydrique, ces infrastructures risquent de creuser les inégalités et de fragiliser des secteurs déjà sous pression.
Des géants de la tech tentés par l’autonomie énergétique
Pour garder le contrôle, certains géants comme Amazon, Microsoft, Meta ou Google cherchent à produire leur propre électricité. Ils multiplient les partenariats avec le secteur pétrolier ou projettent de construire leurs propres centrales nucléaires. Une logique d’indépendance énergétique qui vise à se soustraire à toute régulation publique. Mais qui, en parallèle, marginalise les efforts collectifs de sobriété.
Le rapporteur Pedro Arrojo demande un moratoire mondial sur la construction de nouveaux centres de données tant que leur empreinte écologique n’est pas correctement évaluée. Il plaide pour des mécanismes publics de suivi et de divulgation des consommations, afin de permettre une gouvernance démocratique du numérique.
Il appelle aussi à hiérarchiser l’usage des ressources : entre entraîner un modèle de langage et fournir de l’eau à une population en stress hydrique, la priorité doit être claire.