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- Un contrat pour favoriser l’emploi des plus de 60 ans
- Des modalités de rupture qui posent question
- Des impacts budgétaires potentiellement lourds
- Une rupture automatique du contrat qui concentre les critiques
- Une expérimentation surveillée de près jusqu’en 2030
- Vieillir au travail, entre injonction économique et impasse sociale
Adopté par l’Assemblée nationale le 15 octobre dernier, le contrat de valorisation de l’expérience (CVE), plus connu sous le nom de CDI senior, ambitionne de relancer l’emploi des salariés âgés. Ce nouveau dispositif, porté par un accord interprofessionnel et soutenu par le gouvernement, s’inscrit dans un contexte de vieillissement accéléré de la population active. Mais à peine entériné, il divise syndicats, experts et partis politiques. Promesse d’inclusion ou recul des droits ? Le contrat concentre à lui seul les contradictions de la politique française sur l’emploi des seniors.
Un contrat pour favoriser l’emploi des plus de 60 ans
Malgré une hausse récente, le taux d’emploi des 60-64 ans reste faible en France : 42,4 % en 2024, contre 50,9 % en moyenne dans l’Union européenne, 65,3 % en Allemagne et près de 69 % en Suède. La réforme des retraites de 2023, qui a repoussé l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, a certes entraîné une hausse de la présence des seniors sur le marché du travail. Mais elle a aussi accentué la nécessité d’outils d’accompagnement.
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C’est dans ce cadre que le CVE a été conçu. Le gouvernement ambitionne de faire passer le taux d’emploi des 60-64 ans à 65 % d’ici 2030, soit une progression de plus de 22 points en six ans.
Des modalités de rupture qui posent question
Le CVE s’adresse aux demandeurs d’emploi âgés d’au moins 60 ans, inscrits à France Travail, et n’ayant pas encore atteint l’âge du taux plein pour leur retraite. Dans certaines branches professionnelles, un accord peut abaisser l’âge d’entrée à 57 ans. Le contrat interdit la réembauche d’un ancien salarié ayant travaillé dans l’entreprise dans les six mois précédents.
Sa singularité repose sur une disposition clé : le salarié, au moment de l’embauche, fournit un document de l’Assurance retraite mentionnant la date à laquelle il pourra liquider ses droits à taux plein. L’employeur peut alors rompre le contrat de manière unilatérale à cette date, sans besoin d’accord ni de justification. Aujourd’hui, hors dispositif, cette mise à la retraite d’office ne peut intervenir qu’à 70 ans.
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Des impacts budgétaires potentiellement lourds
Le gouvernement défend un contrat adapté aux réalités du marché du travail. Selon le ministre du Travail et des Solidarités, Jean-Pierre Farandou, le CVE doit « lever un frein majeur à l’embauche des seniors » : le manque de visibilité sur la durée de la relation contractuelle. Les entreprises auront désormais un horizon clair dès le recrutement.
Le texte s’accompagne d’incitations financières, notamment une exonération de 30 % sur l’indemnité de mise à la retraite, pendant trois ans à compter de la promulgation de la loi. Ce levier vise à compenser le coût élevé de cette indemnité, aujourd’hui fortement taxée. Le gouvernement espère ainsi rendre le recours au CVE plus attractif.
Par ailleurs, le contrat peut être prolongé au-delà de l’âge du taux plein, si le salarié y consent, ce qui introduit un élément de flexibilité supplémentaire.
Une rupture automatique du contrat qui concentre les critiques
La disposition autorisant la rupture automatique du contrat à l’âge du taux plein concentre les critiques. La CGT, seul syndicat à ne pas avoir signé l’accord interprofessionnel, parle d’un « CDI à durée déterminée déguisé », en contradiction avec l’esprit même du contrat à durée indéterminée. La CFTC, bien que signataire, estime que le dispositif revient à permettre aux employeurs de « s’acheter un senior à bas coût », selon son président Cyril Chabanier.
La possibilité pour l’employeur de mettre fin au contrat sans recours ni préavis spécifique supprime l’accès à la surcote, un mécanisme qui permet aux salariés de majorer leur pension en travaillant au-delà de la durée requise. Pour plusieurs organisations, le contrat restreint la liberté de choix du salarié en fin de carrière, sans garantie réelle de sécurisation.
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Une expérimentation surveillée de près jusqu’en 2030
Le contrat ne s’adresse qu’aux chômeurs inscrits à France Travail, excluant de fait les retraités en cumul emploi-retraite ou les seniors en inactivité non déclarée. L’éligibilité abaissée à 57 ans reste conditionnée à des accords de branche qui n’ont pas tous été conclus, introduisant des disparités sectorielles et géographiques.
Le dispositif s’inscrit dans une politique plus large de négociation collective sur l’emploi des seniors. Il impose aux entreprises de plus de 300 salariés une obligation de négociation triennale sur le maintien dans l’emploi et la transmission des savoirs. Mais l’absence de sanctions et d’objectifs chiffrés limite, selon la CGT, la portée de ces obligations.
L’efficacité de ce type de dispositif reste à démontrer. Le CDD senior de 2006 s’était soldé par un échec, avec seulement quelques dizaines de contrats signés en un an. Le contrat de génération (2013-2017), pourtant plus ambitieux, n’avait mobilisé que 11 732 accords, soit une couverture partielle du tissu économique. La Cour des comptes avait alors pointé sa complexité et son inadéquation avec les réalités des entreprises.
L’enjeu principal reste inchangé : sans transformation des pratiques de recrutement et des représentations sur l’âge, ces dispositifs peinent à produire des effets réels.
Le coût potentiel du CVE interroge. Le ministère des Finances avait estimé, lors d’une tentative similaire en 2023, que l’exonération des cotisations pourrait représenter un manque à gagner compris entre 800 millions et 2 milliards d’euros. Ce risque est d’autant plus élevé que les employeurs pourraient simplement convertir des embauches déjà prévues en CVE pour bénéficier des allègements fiscaux.
Environ 100 000 CDI sont signés chaque année pour les plus de 60 ans. Si une part significative d’entre eux était transformée en CVE, l’impact budgétaire pourrait être élevé sans effet net sur l’emploi.
Le CVE est mis en œuvre à titre expérimental pour une durée de cinq ans. Un premier rapport d’évaluation est attendu fin 2026, sous l’égide d’un comité de suivi réunissant les partenaires sociaux signataires de l’accord interprofessionnel de 2024. Ce suivi doit permettre d’analyser l’impact réel du dispositif sur les embauches et les parcours des salariés concernés.
Reste à savoir si les entreprises continueront à utiliser le CVE une fois les exonérations fiscales terminées. Pour les syndicats, l’attractivité artificielle du dispositif pourrait vite s’éroder sans leviers durables.
Vieillir au travail, entre injonction économique et impasse sociale
Au-delà de la technique contractuelle, le CVE révèle un malaise plus profond. La France allonge la durée d’activité sans garantir une amélioration des conditions de travail ni des perspectives en fin de carrière. Les discriminations liées à l’âge restent massives : selon le Défenseur des droits, 25 % des seniors au chômage déclarent avoir été discriminés en raison de leur âge lors d’un recrutement.
Face à ces obstacles structurels, un nouveau type de contrat, même bien conçu, ne saurait suffire. Le CDI senior incarne autant une tentative pragmatique d’agir que l’incapacité persistante à traiter les causes profondes du sous-emploi des seniors.
À six ans de l’objectif fixé par le gouvernement, le contrat devra démontrer qu’il est autre chose qu’un outil de gestion de fin de carrière. Faute de quoi, il rejoindra la longue liste des réformes sans lendemain.