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Costumes spectaculaires, suspense savamment orchestré, célébrités masquées et audience familiale fidèle : Mask Singer s’est imposé en six ans comme l’un des piliers du divertissement télévisuel français. Derrière ce spectacle populaire, TF1 a construit une véritable machine à capter l’audience et à maximiser les revenus publicitaires.
Un phénomène télévisuel
Lancé sur TF1 le 8 novembre 2019, Mask Singer est l’adaptation française d’un format sud-coréen, King of Mask Singer. La version originale, imaginée par la chaîne MBC, a rencontré un tel succès en Corée du Sud qu’elle a rapidement été exportée à l’échelle mondiale. Plus de 56 pays l’ont adaptée, des États-Unis à l’Australie en passant par l’Allemagne, l’Espagne ou encore les Pays-Bas.
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En France, TF1 a misé gros sur ce format en 2019, attirée par les résultats spectaculaires de la version américaine. Le pari a été immédiatement payant. Dès son premier épisode, l’émission a rassemblé 6,6 millions de téléspectateurs, soit 32,5 % de part d’audience. Elle est ainsi devenue le meilleur lancement d’une émission de flux depuis The Voice en 2012. Six ans plus tard, malgré une érosion naturelle des audiences, le programme reste l’un des divertissements les plus puissants du paysage audiovisuel français.
Un programme calibré pour séduire les annonceurs
L’un des secrets du succès de Mask Singer réside dans sa performance exceptionnelle sur les cibles commerciales, et notamment sur les femmes responsables des achats de moins de 50 ans (FRDA-50). Lors du lancement de la première saison, l’émission a atteint 48,3 % de part d’audience sur cette cible stratégique, un chiffre rare à la télévision française. À titre de comparaison, les programmes les plus performants dépassent rarement les 10 % sur ce segment.
Cette performance permet à TF1 de vendre ses espaces publicitaires à des tarifs très élevés. Dès le deuxième épisode de la première saison, le prix des spots de 30 secondes est passé de 97 000 à 105 000 euros, atteignant 112 000 euros pour le quatrième prime. La chaîne a ainsi pu augmenter de 83 % le tarif de ses écrans publicitaires du vendredi soir par rapport à ceux de The Voice Kids.
Pour les annonceurs, l’émission offre une couverture sans équivalent sur des publics très convoités : enfants, jeunes adultes, familles. Selon Philippe Nouchi, directeur de l’expertise médias chez Publicis Média, “c’est rare maintenant à la télé les soirées où on dépasse les 10 %” sur les FRDA-50. Mask Singer dépasse régulièrement les 40 %, ce qui en fait un “produit premium” sur le plan publicitaire.
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Des costumes comme levier d’audience et de notoriété
Le caractère spectaculaire de Mask Singer ne tient pas seulement à son concept. Les costumes jouent un rôle essentiel dans l’attrait visuel de l’émission. Ils sont conçus par deux ateliers parisiens d’excellence : Multicréation, dirigé par Marie-France Larrouy, et Moving Puppet, fondé par Jérôme Clauss. Chaque costume nécessite entre 300 et 700 heures de travail et coûte entre 20 000 et 45 000 euros.
Ces créations artisanales mobilisent des matériaux issus de la haute couture. Le Dragon de la saison 2 a nécessité 661 heures de travail réparties sur trois versions différentes. La saison 6 a mobilisé plus de 7 000 heures de travail pour une vingtaine de personnages.
Au-delà de leur dimension esthétique, ces costumes participent pleinement au storytelling de l’émission. Ils sont pensés comme des personnages à part entière, avec une identité visuelle forte, destinée à marquer les esprits et à fidéliser le public. Le soin extrême apporté à leur conception reflète la logique de production premium qui soutient toute la stratégie de TF1 autour du programme.
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Une audience intergénérationnelle rare à la télévision
Mask Singer s’adresse à toutes les générations, un atout devenu rare dans un paysage audiovisuel fragmenté. L’émission enregistre régulièrement des parts d’audience dépassant 50 % chez les 4-14 ans et les 15-24 ans, tout en conservant une forte attractivité auprès des parents et des grands-parents. Cette capacité à fédérer est l’une des clés de sa rentabilité.
Le casting y contribue fortement. Dès la première saison, la production a réuni des profils très variés : sportifs, chanteurs, humoristes, animateurs, personnalités politiques, mais aussi stars internationales. Cette diversité permet à chacun de trouver une figure de référence, un visage à reconnaître ou à deviner, renforçant ainsi l’attachement du public au programme.
Le format s’adapte aussi aux nouvelles générations en intégrant des célébrités issues de YouTube, comme Tibo InShape lors de la saison 8. À l’inverse, des figures emblématiques des années 80 ou 90 permettent aux adultes de renouer avec leurs souvenirs. Cette double lecture du programme renforce sa place de rendez-vous familial.
Innover pour maintenir la valeur du programme
Pour préserver l’attractivité du programme auprès du public et des annonceurs, la production mise sur une stratégie d’innovation permanente. “Plus une saison marche, plus il faut changer de choses pour la saison d’après”, expliquait Rémi Faure, directeur des programmes de flux de TF1.
Des soirées thématiques ont été introduites à partir de la saison 7 (Comédies musicales, Karaoké, Harry Potter, etc.). La saison 8 a franchi un cap supplémentaire en dévoilant, pour la première fois, l’identité d’un candidat dès le lancement. Tibo InShape, l’un des YouTubeurs les plus suivis de France, a été présenté publiquement comme étant le DJ masqué. Les téléspectateurs ont ainsi pu suivre ses stratégies pour tromper les enquêteurs, créant une lecture supplémentaire du programme.
Ces innovations visent à maintenir l’intérêt du public, à générer des discussions sur les réseaux sociaux, et à sécuriser les revenus publicitaires. Le programme se transforme ainsi en “plateforme narrative”, où chaque épisode devient un événement calibré pour capter l’attention.
Un modèle économique face à ses limites
Malgré sa rentabilité, Mask Singer n’échappe pas aux dynamiques d’usure. Après un démarrage spectaculaire à 6,6 millions de téléspectateurs, le lancement de la saison 8 en septembre 2025 a réuni seulement 2,7 millions de personnes, soit une baisse de près de 60 % en six ans. Cette érosion est en partie liée à la multiplication des saisons (huit entre novembre 2019 et octobre 2025), mais aussi à la concurrence accrue d’autres chaînes.
France 2 parvient désormais régulièrement à devancer TF1 en proposant des séries populaires comme Capitaine Marleau. M6 tire également parti des grands événements sportifs pour capter l’audience. Lors de l’Euro 2024, Mask Singer a souffert de la diffusion des matchs de l’équipe de France. Le 11 octobre 2025, TF1 a même dû décaler exceptionnellement un épisode au samedi pour éviter la concurrence directe.
TF1 est donc confrontée à un dilemme stratégique : maintenir la rentabilité en poursuivant les saisons, ou ralentir la cadence pour préserver l’intérêt du public. La neuvième saison, déjà commandée, devra démontrer la capacité du format à se renouveler sans perdre son essence.