Philippe Aghion, du communisme familial au Nobel d’économie

Entre Paris, Harvard et le Collège de France, Philippe Aghion a bâti une pensée économique influente, récompensée aujourd’hui par le prix Nobel.

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Philippe Aghion vient de recevoir le prix Nobel d’économie en compagnie de l’Israélo-américain Joel Mokyr et du Canadien Peter Howitt. Ce chercheur français, aujourd’hui reconnu comme une figure de premier plan dans le champ de la croissance, s’est construit à la croisée de plusieurs mondes : la culture, l’engagement politique et la recherche académique. Il a profondément renouvelé la manière de penser les moteurs du capitalisme contemporain.

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Une jeunesse nourrie par l’engagement et la culture

Né à Paris en 1956, Philippe Aghion grandit dans un environnement marqué par l’art et la politique. Son père, Raymond Aghion, est un intellectuel engagé, proche du Parti communiste. Sa mère, Gaby Aghion, fondatrice de la maison de couture Chloé, a joué un rôle dans l’émergence du prêt-à-porter de luxe en France.
Ce contexte familial développe chez lui une sensibilité politique et une attention aux dynamiques de transformation sociale. Il s’intéresse très tôt aux institutions, aux mécanismes de changement et à la manière dont les sociétés évoluent. Il ne s’inscrit pas dans une école idéologique particulière, mais cherche à comprendre comment se structurent les conditions du progrès.

Un économiste formé entre Paris et Harvard

Après des études à l’École normale supérieure de Cachan et un doctorat en économie mathématique à Paris I, Philippe Aghion poursuit un second doctorat à Harvard, où il obtient un PhD en 1987. Il y affine une méthode rigoureuse, à la frontière de la théorie et de l’économie appliquée.
Sa collaboration avec Peter Howitt, entamée à cette période, marque un tournant. Ensemble, ils élaborent un nouveau modèle de croissance, qui introduit l’innovation comme moteur interne du développement économique. Leur travail s’inscrit dans la continuité de Joseph Schumpeter, mais avec un outillage formel beaucoup plus structuré.

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Une nouvelle théorie de la croissance économique

Le modèle Aghion-Howitt repose sur la « destruction créatrice », selon laquelle les nouvelles technologies remplacent progressivement les anciennes. Contrairement aux modèles classiques qui considèrent le progrès technique comme un paramètre extérieur, cette approche montre que l’innovation résulte d’incitations économiques, de la concurrence, de l’investissement en recherche-développement et du cadre institutionnel.

Ce cadre théorique rompt avec une vision linéaire de la croissance. Il intègre les déséquilibres, les effets de cycle, les blocages possibles. L’économie est perçue comme un système évolutif, où les institutions jouent un rôle structurant.

Aghion introduit ainsi une lecture du capitalisme qui ne se limite ni à l’offre ni à la demande, mais à la capacité du système à générer et absorber l’innovation dans un environnement concurrentiel.

Des idées qui influencent les politiques publiques

Philippe Aghion n’a pas limité sa carrière à la recherche académique. Il s’est engagé dans plusieurs missions de réflexion économique. Il participe en 2007 à la commission Attali sur la croissance française, où il défend des mesures favorisant la concurrence, la mobilité sociale et l’ouverture du marché du travail.

En 2012, il rejoint l’équipe de campagne de François Hollande en tant que conseiller économique. Il soutient ensuite Emmanuel Macron en 2017. Son influence se retrouve dans plusieurs orientations de politique économique, notamment sur la place de l’innovation, la réforme du marché du travail ou les enjeux liés à la mobilité intergénérationnelle.
Aghion intervient régulièrement dans les débats publics, dans les médias comme dans les institutions. Il privilégie une approche fondée sur les données, et cherche à articuler rigueur scientifique et utilité politique.

Innovation verte et inégalités : ses combats actuels

Depuis les années 2010, Aghion consacre une part croissante de ses travaux aux liens entre innovation et transition écologique. Il développe la notion de directed technical change, qui montre que l’innovation ne se réoriente pas spontanément vers les technologies propres. Il insiste sur la nécessité d’interventions publiques : fiscalité carbone, subventions ciblées, régulation adaptée.

Il travaille également sur les inégalités et la mobilité sociale. Il distingue les inégalités liées à l’innovation – temporaires et liées à la prise de risque – de celles qui résultent de positions acquises ou de la capture des institutions. Son objectif n’est pas une égalité parfaite, mais un système où chacun peut progresser selon ses capacités, avec un accès réel à l’éducation, à la santé et à la formation.

Ses travaux donnent un cadre analytique à une politique économique réformiste, qui cherche à conjuguer croissance, inclusion sociale et transition écologique.

Un Nobel pour une vision réformiste du capitalisme

Philippe Aghion a enseigné dans plusieurs institutions majeures : Harvard, le MIT, Oxford, le Collège de France. Il dirige aujourd’hui le Farhi Innovation Lab, un centre de recherche basé à Paris qui réunit des chercheurs venus de plusieurs pays.

Il fait partie d’une génération d’économistes européens qui ont su s’imposer dans le paysage académique mondial tout en développant une approche distincte. Il défend un capitalisme où l’innovation est encadrée par des règles efficaces, et où la concurrence reste compatible avec des politiques industrielles ciblées.

Son prix Nobel consacre un travail théorique de fond, mais aussi une méthode et un positionnement. Aghion cherche à comprendre les conditions de la croissance, tout en s’intéressant à ses conséquences sociales et écologiques. Il ne sépare jamais l’analyse des outils de l’action.



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