Martin Sion, l’industriel qui veut relancer Alstom

Connaissez-vous Martin Sion ? Il s'apprête à diriger Alstom et pourrait bien transformer tout le paysage ferroviaire européen.

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C’est un changement de capitaine qui n’a rien d’anodin. En avril 2026, Martin Sion prendra les rênes d’Alstom, succédant à Henri Poupart-Lafarge, patron depuis dix ans. Ce transfert de pouvoir intervient à un moment crucial pour le constructeur ferroviaire, sous pression depuis l’intégration difficile de Bombardier Transport et bousculé par une concurrence internationale de plus en plus agressive. À 59 ans, cet ingénieur formé à Centrale Paris n’est pas un inconnu. Il a fait ses preuves dans l’industrie lourde, là où les cycles sont longs, les défis techniques complexes, et les marges étroites.

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Un CV taillé dans l’industrie de souveraineté

Martin Sion, c’est d’abord un parcours classique d’ingénieur qui a bifurqué tôt vers les fonctions de direction. Après un passage aux laboratoires Sandia aux États-Unis, il commence sa carrière en 1990 chez SEP à Vernon, avant de rejoindre Snecma (devenue Safran Aircraft Engines). Il y enchaîne les postes techniques et opérationnels, jusqu’à prendre la tête de plusieurs filiales stratégiques du groupe.

Entre 2013 et 2023, il pilote successivement Aircelle (aujourd’hui Safran Nacelles), puis Safran Electronics & Defense. Il y mène des transformations industrielles profondes, notamment dans l’optronique, la navigation inertielle et les systèmes spatiaux. Une décennie à manier à la fois la technologie de pointe et les restructurations internes.

Du spatial à la performance industrielle

Nommé à la tête d’ArianeGroup en 2023, Martin Sion récupère un géant européen du lancement spatial en perte de vitesse : chiffre d’affaires en chute libre, retards sur Ariane 6, dépendance accrue aux lanceurs américains. Moins d’un an plus tard, le premier vol d’Ariane 6 est un succès. Un tournant.

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Derrière ce redressement, une méthode : rationalisation de la production, réorganisation des sous-traitants, pression sur les coûts. Sion applique un plan « One ArianeGroup » pour passer à neuf lancements par an d’ici 2027, condition sine qua non des 340 millions d’euros annuels que verse l’Europe jusqu’en 2030. Il introduit les outils du lean, digitalise les chaînes industrielles, et redonne à ArianeGroup une crédibilité que beaucoup pensaient perdue.

MaiaSpace, le pari réutilisable à la sauce européenne

Le dirigeant ne se contente pas de gérer l’existant. Il lance MaiaSpace, une filiale chargée de développer un mini-lanceur réutilisable. Objectif : concurrencer SpaceX sur les petits satellites, avec un premier vol prévu en 2026 et une montée en cadence rapide. Un projet à la fois technologique et politique, pour défendre la souveraineté spatiale de l’Europe.

Sous sa direction, ArianeGroup renforce aussi sa présence dans la défense. Le missile nucléaire M51.3 est qualifié en 2023, sa version suivante en préparation. Le groupe pilote aussi VMaX, un démonstrateur de planeur hypersonique, dans un contexte de compétition avec les grandes puissances militaires. Une diversification maîtrisée, au service de la souveraineté européenne.

Pourquoi Alstom a besoin de Martin Sion

La nomination de Martin Sion, annoncée en octobre 2025, n’est pas un simple jeu de chaises musicales. Elle marque un changement de style. Henri Poupart-Lafarge aura mené la mutation d’Alstom vers un pur acteur du ferroviaire, avec la cession des activités énergie et le rachat de Bombardier Transport pour 5,5 milliards d’euros. Mais l’intégration traîne : marges sous pression, retards de production, et une action divisée par deux depuis 2021.

Les derniers résultats montrent une stabilisation : chiffre d’affaires en hausse (18,5 milliards), retour à un cash-flow positif (502 millions), marge opérationnelle ajustée de 6,4 %. Mais on reste loin des 8 à 10 % visés pour 2026.

Une entreprise solide, mais sous tension

Avec un carnet de commandes de 95 milliards d’euros, Alstom reste une forteresse industrielle. Mais la pression est forte : finaliser l’intégration de Bombardier, améliorer la rentabilité, accélérer les cadences en France et en Allemagne, et faire face à CRRC, mastodonte chinois du ferroviaire.

Les objectifs pour 2025/26 sont clairs : croissance organique de 3 à 5 %, marge de 6,5 %, cash-flow libre entre 300 et 500 millions. Pour les atteindre, il faudra une gestion de type industriel, pas seulement financière.

Une gouvernance stabilisée pour une transition sans heurt

Le passage de témoin se fera en douceur. Henri Poupart-Lafarge reste jusqu’en avril 2026. Depuis mi-2024, les rôles ont été séparés : la présidence du conseil est assurée par Philippe Petitcolin, ancien de Safran, connu pour son exigence et sa rigueur. Une configuration pensée pour sécuriser la transition.

Le choix de Martin Sion ne doit rien au hasard. Il coche toutes les cases : culture industrielle, expérience des grands programmes, maîtrise de la chaîne d’approvisionnement, et pilotage serré de la performance. Il a aussi prouvé qu’il savait travailler dans des écosystèmes institutionnels complexes, entre États, agences et partenaires industriels.

Son expérience dans les domaines stratégiques – spatial, défense – est un atout pour aborder le ferroviaire, un secteur de plus en plus géopolitique, où l’innovation se mêle à la souveraineté.



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