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Bpifrance Le Lab dresse un état des lieux sans fard : les entreprises françaises veulent répondre à l’appel de l’économie de guerre, mais leur capacité à monter en puissance reste incertaine. L’étude, intitulée « Aux armes, dirigeants ? », repose sur un panel de 1 700 entreprises, dont près de la moitié évoluent déjà dans le secteur de la défense. L’autre moitié provient de secteurs connexes comme l’aéronautique, la chimie ou encore l’optique. Objectif : évaluer si le tissu industriel hors grands groupes peut réellement soutenir la trajectoire stratégique définie par l’État.
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La Base industrielle et technologique de défense (BITD) est ici élargie pour inclure toutes les entreprises générant du chiffre d’affaires, même marginal, dans la défense. Une approche utile pour mesurer l’ampleur du défi. Car il est considérable : atteindre les objectifs fixés par l’OTAN, soit 3,5 % du PIB d’ici 2035, implique de faire grimper le chiffre d’affaires du secteur de 31 milliards d’euros d’ici à 2030. Cela suppose un taux de croissance annuel de 7,6 % hors inflation. Très au-dessus des 5 à 5,5 % actuellement observés.
Une montée en cadence qui bute sur les financements
Pour suivre la cadence, les entreprises devraient mobiliser 15 milliards d’euros, dont 5 en fonds propres. Problème : cette capacité d’investissement fait défaut. Si la volonté est réelle – 43 % des entreprises hors secteur déclarent vouloir s’y développer, et 94 % des entreprises déjà engagées veulent accélérer – l’écart entre intention et exécution reste large. Certaines filières techniques, comme l’ingénierie ou l’électronique, montrent un fort intérêt. Les start-up, en particulier, sont en pointe. Mais cela ne suffit pas.
Les obstacles sont multiples. Le premier, massivement cité, est le manque de visibilité auprès des donneurs d’ordre. Plus de 70 % des dirigeants extérieurs au secteur disent ne pas réussir à se faire repérer. Ensuite viennent la complexité des appels d’offres, puis la difficulté à nouer des partenariats stratégiques. Autrement dit : on a des compétences, mais pas les codes pour entrer dans le jeu.
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Un accès difficile au marché domestique
Autre paradoxe : les entreprises peinent à percer sur leur propre marché, alors même que la commande publique augmente. Les start-up du secteur réalisent en moyenne 20 % de leur chiffre d’affaires à l’export. Plus que les PME et ETI, qui atteignent 16 %. Sur le marché national, elles restent souvent bloquées par une filière structurée autour de quelques grands donneurs d’ordre.
Ces donneurs d’ordre pèsent lourd, mais ne tirent pas forcément tout le monde vers le haut. Les entreprises dites « cœur défense » – les sous-traitants historiques – sont parmi les plus fragiles. Difficultés de trésorerie, refus de prêt, impossibilité de lever des fonds : elles cumulent les signaux d’alerte. Leur structure financière est tendue : peu de marge, peu d’autofinancement, beaucoup de dettes. En face, les grands groupes disposent de trésoreries confortables et d’un levier financier beaucoup plus raisonnable.
Un effort industriel entravé par des limites structurelles
Même quand la demande est là, la réponse productive ne suit pas toujours. Beaucoup d’entreprises affichent des carnets de commandes remplis, mais ne peuvent pas accélérer faute d’outils, de main-d’œuvre ou d’investissements suffisants. Tensions d’approvisionnement, délais de production, cycles longs : les freins sont bien connus, mais toujours aussi présents.
Plus grave : l’engagement dans la défense ne garantit pas, à court terme, une amélioration de la santé financière. Les retards de paiement, les contrats incertains et les faibles marges peuvent même aggraver les situations fragiles. D’où l’appel, dans l’étude, à une stratégie de filière mieux structurée. Plus équilibrée. Avec un partage de la valeur plus juste, et un accompagnement des nouveaux entrants. Car sans cela, les ambitions resteront théoriques.
Une diversification qui doit rester maîtrisée
La conclusion est limpide. S’engager dans la défense peut offrir des débouchés. Mais ce n’est ni une garantie de croissance, ni une assurance anti-crise. Les entreprises doivent garder un équilibre. Maintenir une part significative d’activité civile, sécuriser leur trésorerie, viser l’export : autant de conditions nécessaires pour que la diversification vers la défense ne devienne pas une impasse stratégique.