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Cannes et Nice. Ces deux villes partagent plus qu’un attrait touristique. Elles figurent désormais parmi les communes françaises les plus exposées au surtourisme, selon le Touriscore, un indice mis au point par la start-up Ville de rêve. À travers cinq critères – part des logements touristiques, densité de bars et restaurants, présence de loueurs professionnels, ratio Airbnb / ventes immobilières – l’indicateur classe les villes de A à E. Dix villes reçoivent aujourd’hui la note E, signalant une pression touristique critique.
En tête : Cannes, où 32,5 % des logements sont dédiés à la location courte durée, contre une moyenne nationale de 7,8 % dans les villes comparables. Paris n’échappe pas à la tendance, malgré une part plus faible de logements touristiques (13 %), mais une densité commerciale exceptionnelle (1 191 bars et restaurants au km²).
Immobilier : la ville devient un produit spéculatif
La pression touristique redessine le marché immobilier. À Nice ou Annecy, les prix du mètre carré dépassent les 8 000 €, alimentés par la rentabilité des locations meublées et la présence croissante d’investisseurs multi-propriétaires. À Cannes, où près d’un logement sur trois est proposé à la location courte durée, les loyers ont bondi de 20 à 30 % en un an dans les zones centrales. Résultat : les ménages à revenus modestes sont contraints de se relocaliser en périphérie, alimentant un processus de gentrification accélérée.
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La multiplication des annonces touristiques n’est plus un phénomène marginal. À Avignon, Aix-en-Provence ou La Ciotat, ces usages concurrencent désormais directement l’habitat permanent. Le logement cesse d’être une fonction sociale pour devenir un actif rentable.
Des centres-villes vidés de leurs fonctions quotidiennes
Avec l’essor du tourisme de masse, les commerces de proximité sont peu à peu remplacés par une offre exclusivement tournée vers les visiteurs : restaurants, cafés, boutiques de souvenirs. À Antibes ou Marseille, cette recomposition commerciale transforme l’écosystème urbain. Les boulangeries ferment, les supérettes laissent place aux bars à cocktails. En parallèle, les plaintes pour nuisances sonores augmentent : +40 % pendant l’été selon les mairies concernées.
Le tissu social s’en trouve altéré. La vie associative décline, les repères communautaires se désagrègent. Le quartier devient un décor, sans mémoire ni attachement.
Transports saturés, patrimoine fragilisé
L’afflux de visiteurs a des effets immédiats sur les infrastructures. À Paris et Nice, les transports en commun fonctionnent à 120 % de leur capacité en juillet et août. À Annecy et Avignon, les flux piétons dépassent les 500 000 passages par jour, dégradant trottoirs et façades.
À Cannes, les embouteillages touristiques provoquent jusqu’à 35 % de retard pour les services d’urgence en haute saison. Cette congestion met sous tension les capacités de gestion urbaine, conçues pour des populations résidentes et non pour des flux massifs et discontinus.
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Le surtourisme n’est pas qu’une question sociale ou foncière. Il pèse lourdement sur les écosystèmes. À Cannes, les déchets urbains augmentent de 18 tonnes par jour en période estivale. Sur la Côte d’Azur, l’empreinte carbone du tourisme est estimée à 1,2 million de tonnes de CO₂, soit 10 % des émissions régionales.
Pollution sonore, pollution lumineuse, stress hydrique : les nuisances dépassent les seuls centres touristiques. Elles affectent durablement la qualité de vie des habitants, souvent relégués aux marges du système.
Comment sortir de la monoculture touristique ?
Face à ce constat, les leviers d’action existent. Plusieurs collectivités locales expérimentent des mesures pour encadrer les locations de courte durée : quotas par quartier, limitation à 90 jours pour les résidences principales, contrôles automatisés renforcés. À Paris, la mairie envisage de porter les amendes à 50 000 € en cas de fraude.
Mais la régulation seule ne suffira pas. Il est également nécessaire de réorganiser l’offre touristique dans l’espace et le temps. Encourager les visites hors-saison par des festivals ou des tarifs réduits dans les transports et les musées permettrait de lisser les flux. Créer des circuits alternatifs, valorisant les parcs naturels ou le patrimoine rural, contribuerait à désaturer les hyper-centres.
Reconstruire une économie locale et habitée
Le redéploiement de l’économie urbaine est un autre axe central. Certaines villes imposent désormais un minimum de commerces de première nécessité dans les immeubles neufs. D’autres soutiennent l’artisanat local via des loyers modérés ou des subventions. À Marseille, un dispositif fiscal favorise le maintien des librairies, quincailleries ou cafés associatifs.
Ces mesures visent à rééquilibrer la fonction économique de la ville, aujourd’hui trop dépendante du tourisme. Car une ville qui perd ses habitants devient vulnérable à la moindre variation conjoncturelle.
Faire place aux citoyens dans les décisions
Le défi est également politique. Partout, les habitants réclament plus de transparence sur les données de fréquentation, la gestion des locations ou l’évolution des prix. Certaines communes ont mis en place des comités de quartier dédiés, associant riverains, commerçants et élus. D’autres ont lancé des budgets participatifs pour financer des plantations d’arbres ou des rues piétonnes.
Réinscrire les habitants dans le processus de décision, c’est refonder la légitimité des politiques publiques locales. C’est aussi restaurer un lien distendu entre ville vécue et ville visitée.