Pénurie de médicaments dans les pharmacies : la crise s’aggrave

Les patients peinent à se soigner, les pharmaciens improvisent : la pénurie de médicaments plonge le système de santé dans l’urgence.

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L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) lance pour le septième mois consécutif une alerte sur les tensions d’approvisionnement en psychotropes, notamment sur la quétiapine à libération prolongée, un antipsychotique largement utilisé. Les livraisons sont attendues au compte-gouttes en octobre, alors que les professionnels de santé peinent à garantir la continuité des traitements.

Ce nouvel épisode confirme que la crise des pénuries de médicaments, installée depuis des années, reste vive. Les chiffres de 2024 montrent bien un recul du nombre global de signalements : 3825 contre 4925 en 2023. Mais cette baisse apparente ne doit pas masquer la réalité : les médicaments concernés sont de plus en plus essentiels, et les ruptures plus longues et plus critiques.

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Des médicaments vitaux de plus en plus souvent indisponibles

Derrière l’amélioration statistique se cache une aggravation qualitative. Les ruptures touchent désormais des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), ceux qui sont incontournables pour traiter des pathologies graves en oncologie, psychiatrie ou neurologie. En 2024, 400 présentations de médicaments étaient simultanément en rupture – un niveau jamais atteint auparavant, le double du pic enregistré en 2020.

Les laboratoires ont certes renforcé leurs stocks de sécurité. Fin 2024, ils déclaraient en moyenne deux mois de réserve pour les MITM, contre 1,3 mois deux ans plus tôt. Mais ces précautions restent insuffisantes face à des défaillances systémiques.

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Une crise qui dure depuis plus de 15 ans

La tendance n’est pas nouvelle. En 2008, seuls 44 cas de rupture étaient recensés. Ils sont multipliés par neuf en 2016, dépassent les 1000 en 2019, puis explosent avec la pandémie. En 2023, l’ANSM enregistre un record : 4925 signalements de rupture ou de risque de rupture.

À cette date, jusqu’à 8 millions de boîtes de médicaments prioritaires manquaient chaque mois. Cela représentait près de 10 % du volume de ventes. Le phénomène n’épargne plus aucun pan de la médecine, et surtout pas les traitements de base.

Psychiatrie : la pénurie devient chronique

Les psychotropes incarnent cette fragilité croissante. Depuis mars 2025, l’ANSM convoque chaque mois les acteurs de la chaîne pour organiser l’approvisionnement de certaines molécules, dont la quétiapine à libération prolongée. L’approvisionnement reste incertain, et les reports de traitements, fréquents.

Ces tensions récurrentes ont un impact direct sur les patients, notamment les plus fragiles. Elles imposent aux médecins des changements de protocoles en urgence, et aux pharmaciens des solutions de contournement de plus en plus difficiles à trouver.

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Une pénurie qui s’étend à toute l’Europe

Le problème dépasse largement les frontières françaises. Entre janvier 2022 et octobre 2024, 136 pénuries critiques ont été recensées dans les pays de l’Union européenne. Une enquête du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne révèle que tous les États membres ont été touchés en 2024, et que dans près de la moitié, plus de 400 médicaments étaient indisponibles.

Les causes sont connues : une dépendance massive aux importations de principes actifs (notamment asiatiques), une production industrielle concentrée, une pression permanente sur les prix, et des chaînes logistiques fragiles.

Des plans d’urgence activés chaque hiver

Face à la récurrence des tensions, l’ANSM a activé un plan hivernal spécifique pour 2025-2026. Il prévoit une surveillance renforcée des médicaments critiques et la mobilisation anticipée des industriels. Ce dispositif, désormais annuel, montre à quel point la gestion de crise s’est banalisée dans le secteur.

La feuille de route 2024-2027 pour les médicaments a été complétée par une nouvelle stratégie sur les dispositifs médicaux. Car la crise ne s’arrête pas aux médicaments : près de 150 dispositifs ont été signalés en rupture en 2024.

Les stocks ont été rehaussés, les délais de réponse de l’ANSM raccourcis, et la coordination renforcée. La proportion de signalements ayant donné lieu à une action a progressé au troisième trimestre 2024. Mais ces efforts ne règlent pas les déséquilibres profonds du secteur.

La France reste dépendante à 80 % de l’Asie pour ses principes actifs. Deux laboratoires mondiaux produisent 40 % des génériques. Le différentiel de prix en Europe incite les industriels à privilégier d’autres marchés. La rentabilité des génériques continue de chuter, atteignant -1,5 % en 2023.

Pharmaciens et patients inquiets

Sur le terrain, les conséquences s’aggravent. En 2025, les pharmaciens passent en moyenne 10,6 heures par semaine à gérer les ruptures, contre 5,3 heures en 2021. Ce temps est pris sur le conseil, la prévention et l’accompagnement des patients.

En Europe, 61 % des pays constatent une perte de confiance des patients dans les médicaments, les professionnels, et plus largement dans le système de santé. Une méfiance qui risque de s’amplifier si les tensions se prolongent.

Les plans d’urgence et les ajustements logistiques ne traitent pas la racine du problème : un modèle économique tiré par les coûts, une dépendance industrielle massive, et une absence de vision à long terme. La reconquête d’une souveraineté sanitaire, tant industrielle que politique, reste un chantier immense. Et urgent.



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