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Stellantis a choisi. Le constructeur franco-italo-américain investira massivement outre-Atlantique, pendant qu’il suspend l’activité dans plusieurs de ses usines européennes. En France, les sites de Poissy, Mulhouse et Sochaux sont concernés. Ce grand écart industriel illustre un basculement stratégique assumé : Stellantis tourne le dos à l’Europe pour miser sur les États-Unis, marché plus rentable et plus prévisible.
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La décision n’a rien d’idéologique. Elle est comptable. En annonçant un plan de 10 milliards de dollars aux États-Unis, Stellantis cherche à s’affranchir de droits de douane de 25 % sur les véhicules importés et à renforcer sa présence sur un marché aux marges trois à quatre fois supérieures à celles de l’Europe.
Et l’effort pourrait encore s’amplifier. Selon l’agence américaine Bloomberg News, le groupe pourrait annoncer dans les prochaines semaines environ cinq milliards de dollars d’investissements supplémentaires, qui s’ajouteraient aux cinq milliards déjà prévus plus tôt dans l’année. Soit une enveloppe totale de 10 milliards, potentiellement réévaluée à la hausse, concentrée sur trois ans.
Parmi les projets phares : la réouverture de l’usine de Belvidere, dans l’Illinois. Fermée en 2023, elle sera relancée en 2027 pour produire un pick-up Ram intermédiaire, avec un budget de 1,2 milliard de dollars. Elle créera 1 500 emplois directs. Dès 2024, un centre logistique sera installé, suivi en 2025 d’une ligne d’emboutissage.
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Stellantis muscle aussi ses gammes. Le retour du V8 HEMI sur le Ram 1500 a généré 10 000 commandes en 24 heures. Jeep prépare des hybrides rechargeables pour les centres urbains, Dodge retravaille ses muscle cars. Côté électrique, le virage est acté : à partir de 2025, tous les modèles vendus aux États-Unis adopteront le connecteur NACS de Tesla, pour accéder au réseau de Superchargers. En parallèle, 2 000 bornes seront installées d’ici fin 2026.
Les chiffres valident cette stratégie : les ventes aux États-Unis ont progressé de 6 % au troisième trimestre 2025, à 324 825 véhicules. En mars, les commandes au détail ont bondi de 82 % sur un an, sans recours massif aux rabais.
Usines à l’arrêt en Europe : la purge continue
En parallèle, le groupe suspend temporairement la production dans sept sites industriels européens, entre fin septembre et début novembre. Officiellement, il s’agit d’adapter les volumes à une demande en recul de 8 à 10 %, et de réduire les stocks.
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En France, Poissy est à l’arrêt du 13 au 31 octobre, affectant les Opel Mokka et Citroën C3 Aircross. À Mulhouse et Sochaux, les interruptions s’expliquent par des tensions d’approvisionnement sur les batteries hybrides et un ajustement des cadences sur les modèles 3008, 5008, 308, 408 et DS 7.
L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Pologne sont aussi concernées. Les usines d’Eisenach, Saragosse, Madrid, Pomigliano d’Arco et Tychy s’arrêtent entre 4 et 14 jours selon les modèles.
L’Europe, une équation de plus en plus défavorable
Trois facteurs principaux expliquent ce coup de frein industriel. D’abord, une surcapacité chronique : les usines européennes de Stellantis tournent à 30–40 % de leur capacité, loin du seuil de rentabilité de 85 à 90 %. Ensuite, une pression concurrentielle de plus en plus forte, notamment des marques chinoises, qui s’imposent sur les segments électriques low-cost. Enfin, des contraintes réglementaires toujours plus strictes, qui imposent des volumes de véhicules électriques que le marché n’absorbe pas.
Deux campagnes de rappel en 2025 ont aussi terni l’image du groupe : près d’un million de moteurs BlueHDi 1.5 et 68 000 blocs PureTech ont dû repasser par l’atelier, affectant la confiance des clients.
Un groupe sous pression à la veille d’un nouveau plan
Stellantis souffre. Sur les six premiers mois de 2025, le groupe affiche une perte nette de 2,3 milliards d’euros, contre un bénéfice de 5,6 milliards un an plus tôt. Le chiffre d’affaires a chuté de 12,5 % à 74,3 milliards. La marge opérationnelle s’est effondrée à 0,7 %, contre plus de 10 % en 2024.
La nouvelle direction, menée par Antonio Filosa depuis fin 2024, présentera un plan stratégique début 2026. Il devrait marquer la fin de l’objectif 100 % électrique en Europe d’ici 2030, au profit d’un mix plus souple : thermique, hybride et électrique. Pour éviter les amendes européennes sur le CO₂, Stellantis prévoit un accord de pooling avec Tesla.
Un recentrage américain de plus en plus assumé
Le contraste entre les investissements massifs aux États-Unis et les arrêts en Europe n’est pas conjoncturel. Il révèle un déplacement stratégique des priorités industrielles vers des marchés plus rentables, plus dynamiques, et moins contraints.
Stellantis reste encore numéro un en Europe, avec 29,5 % de parts de marché en France et 17,3 % dans l’Union européenne. Mais la concurrence asiatique, les règles environnementales et la stagnation de la demande fragilisent ce socle.
Outre-Atlantique, l’électrification reste progressive, et la rentabilité bien meilleure. En 2022, Tesla contrôlait 62 % du marché électrique américain ; cette part devrait tomber à 18 % en 2026. De quoi ouvrir un boulevard pour les ambitions nord-américaines de Stellantis.