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Pendant une décennie, le mot d’ordre « apprends à coder » s’est imposé comme solution miracle à l’orientation professionnelle. Dans l’imaginaire collectif, le développement informatique offrait une voie rapide vers l’emploi, des salaires élevés et un avenir garanti. Mais les données les plus récentes, venues notamment des États-Unis, remettent en cause ce récit. Les jeunes diplômés issus des filières informatiques rencontrent aujourd’hui un marché du travail tendu, saturé, et marqué par un accès difficile aux premiers postes.
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La filière tech ne s’effondre pas, mais elle se ferme. Si les métiers du code restent attractifs pour les profils expérimentés et les spécialistes, les candidats juniors subissent un double choc : une offre d’emploi contractée et une concurrence exacerbée. L’objectif n’est plus de promouvoir une carrière universelle dans le numérique, mais de fournir les repères nécessaires pour permettre des choix lucides, en connaissance de cause.
Les chiffres qui remettent en cause la promesse
Aux États-Unis, les jeunes diplômés en informatique (6,1 %) et en génie informatique (7,5 %) affichent un taux de chômage supérieur à la moyenne des diplômés de leur tranche d’âge (5,3 %), selon les données de l’American Community Survey 2023 compilées par la Fed de New York. Certains diplômes souvent jugés peu « employables » s’en sortent mieux : philosophie (3,2 %), histoire de l’art (3 %) ou encore sciences de la nutrition (0,4 %).
Au-delà du chômage, c’est le sous-emploi qui témoigne de la difficulté d’insertion. Au deuxième trimestre 2025, plus de 41 % des jeunes diplômés américains exerçaient un emploi ne correspondant pas à leur qualification, un niveau nettement supérieur à celui d’avant la pandémie.
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Par rapport à 2019, l’écart s’est creusé. Le taux de chômage des diplômés de 23 à 27 ans atteint désormais 4,59 % contre 3,25 % six ans plus tôt. Cette hausse est plus marquée que chez les non-diplômés du même âge ou chez les diplômés plus âgés, signe d’un blocage spécifique à l’entrée sur le marché du travail.
Pourquoi le marché du code se grippe
La généralisation des outils d’IA dans les entreprises a profondément modifié la structure des besoins en main-d’œuvre. Dans les directions informatiques comme chez les éditeurs de logiciels, les tâches d’initiation — rédaction de documentation, reporting, tickets de support — sont désormais en partie automatisées. Cette évolution réduit l’utilité immédiate des profils débutants.
Dans le même temps, l’offre de diplômés ne cesse de croître. En dix ans, le nombre de diplômés en informatique et sciences de l’information a plus que doublé aux États-Unis, passant de 51 696 en 2013–2014 à 112 720 en 2022–2023. En 2024, l’informatique reste la filière affichant la plus forte croissance annuelle parmi les dix disciplines principales, malgré la baisse globale du nombre d’étudiants.
Face à cette sur-offre, les employeurs resserrent leurs critères. Les données de Handshake indiquent que les offres destinées aux récents diplômés ont baissé de 15 à 16 % en un an, tandis que le nombre de candidatures par poste a bondi de 26 à 30 %. L’embauche d’entrée de gamme a reculé de 23 % depuis 2020, une baisse plus marquée que l’embauche globale.
Un autre facteur bloque l’accès au premier emploi : le décalage entre attentes salariales et réalité du marché. Près de la moitié des jeunes diplômés en informatique visent un salaire d’au moins 100 000 dollars par an. En réalité, la majorité des postes juniors proposés en 2025 se situent entre 33 280 et 47 840 dollars annuels, des niveaux proches de certains emplois de service.
Enfin, les vagues de licenciements massifs fragilisent encore davantage les débutants. Plus de 100 000 professionnels du numérique ont perdu leur emploi en 2025, après 150 000 suppressions en 2024. Le taux de chômage dans le secteur a atteint 5,7 % début 2025, contre 3,5 % un an plus tôt. Ces départs alimentent une concurrence accrue pour les postes restants.
Et en France ?
Le tableau est différent en France, où la reconversion vers les métiers techniques progresse rapidement. En cinq ans, environ deux millions de personnes ont changé de voie professionnelle. Les métiers manuels, notamment dans le bâtiment, enregistrent une hausse de la demande de 15 % en trois ans. En 2024, près de 490 000 offres ont été publiées dans l’artisanat, soit une progression de 46 % depuis 2019.
Ce regain d’intérêt repose en partie sur le modèle d’alternance, qui combine formation gratuite, statut salarié et fort taux d’insertion (79 % à sept mois). Ce système offre un amortisseur face à la raréfaction des postes d’entrée dans le secteur tertiaire. En parallèle, les pénuries de main-d’œuvre sont structurelles : près de 30 % des artisans actuellement en activité partiront à la retraite d’ici 2030.
Les rémunérations dans les métiers techniques restent modestes en début de carrière — entre 1 550 et 1 750 euros bruts mensuels pour un électricien salarié — mais peuvent grimper rapidement pour les indépendants, souvent autour de 3 000 à 5 000 euros nets mensuels.
L’IA commence néanmoins à transformer certains métiers manuels. Une première vague d’automatisation touche des tâches spécifiques, tandis que les entreprises du bâtiment intègrent progressivement des outils numériques. Parallèlement, les métiers intégrant l’IA (analyse de données, automatisation des process, maintenance prédictive) connaissent une revalorisation croissante. En 2025, les compétences IA bénéficient d’une prime salariale moyenne de 56 % par rapport aux autres secteurs.
Jeunes diplômés face à l’impasse du « junior »
Aux États-Unis, l’accès au premier emploi se durcit. Les postes estampillés « entry-level » exigent de plus en plus une première expérience. Les jeunes diplômés se retrouvent en concurrence directe avec des professionnels confirmés récemment licenciés. Les programmes d’intégration spécifiques pour débutants disparaissent progressivement. Résultat : la durée de recherche d’emploi s’allonge, souvent alimentée par des attentes de rémunération inspirées des standards des grandes entreprises technologiques.
En France, le basculement vers les métiers techniques offre une voie d’accès plus directe à l’emploi. Mais ce refuge n’est pas sans contraintes : saisonnalité, instabilité des chantiers, premières vagues d’automatisation. Ce qui distingue la France, c’est la force du modèle d’alternance, capable d’absorber une part importante de la demande de reconversion.
Cinq leviers pour retrouver l’accès au marché du travail IT
Les données du marché du travail confirment une dynamique de sélection. Pour les profils qui cherchent à accéder ou revenir dans le secteur IT, plusieurs stratégies s’imposent :
- Se spécialiser
Les segments porteurs concentrent les opportunités : intelligence artificielle, cybersécurité, cloud computing, science des données, DevOps, blockchain. - Adapter sa trajectoire
Cibler les PME, les secteurs publics ou les régions moins saturées permet de contourner l’hyperconcurrence des grandes métropoles et des géants de la tech. - Prouver ses compétences
Construire un portfolio, obtenir des certifications reconnues (AWS, Azure, GCP, IA/ML), contribuer à des projets open-source et présenter des cas d’usage clairs restent des atouts majeurs. - Miser sur les soft skills
Communication, travail en équipe, adaptabilité et résolution de problèmes sont devenus essentiels dans un développement logiciel désormais très collaboratif. - Ajuster ses attentes
Une stratégie salariale réaliste, avec un objectif progressif sur 12 à 24 mois, favorise l’accès aux premiers postes.
En résumé, l’époque où le simple apprentissage du code garantissait un emploi bien rémunéré est révolue. La promesse d’un accès automatique à la classe moyenne par le numérique ne résiste plus à l’analyse des chiffres. Pourtant, les compétences restent recherchées — à condition d’être alignées avec les besoins concrets du marché.