Ces jeunes diplômés qui fuient la France

Formés en France, ils choisissent le Canada ou la Suisse. Derrière ces départs, un même constat : la France peine à séduire ses meilleurs éléments.

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Chaque année, environ 15 000 jeunes diplômés d’écoles d’ingénieurs et de management choisissent de commencer leur carrière à l’étranger. Un chiffre stable, mais qui interroge, d’autant qu’il concerne des profils formés en grande partie aux frais de la collectivité. Au-delà de la tentation de l’ailleurs, cette expatriation souligne les tensions du modèle français d’intégration des jeunes talents dans un marché du travail perçu comme rigide et peu attractif.

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L’expatriation post-diplôme : un choix révélateur

Selon le dernier baromètre Ipsos-BVA pour la Fédération Syntec, 10 % des jeunes diplômés d’écoles d’ingénieurs et 15 % d’écoles de management s’expatrient après l’obtention de leur diplôme. Si les pics enregistrés en 2016-2017 n’ont pas été retrouvés depuis le Brexit et la pandémie, une légère reprise est observée : +2,9 % d’inscriptions consulaires entre 2023 et 2024.

Les différences sont marquées selon les profils. En 2023, 27,2 % des diplômés étrangers issus d’écoles de management commencent leur carrière à l’étranger, contre 13,3 % pour les ingénieurs étrangers et seulement 8,4 % pour les diplômés français. Les écoles les plus sélectives sont particulièrement concernées : 19 % à l’École polytechnique et 17,4 % à CentraleSupélec.

Critères analysés Données clés
Part des diplômés qui s’expatrient 10 % (ingénieurs), 15 % (management)
Coût estimé pour l’État 870 à 960 M€ / an
Ont un lien familial avec l’étranger 48 %
Ont déjà vécu à l’étranger 44 %
Perçoivent positivement la mondialisation 63 %
Émotions positives liées à l’expatriation 74 %
Motivation : découvrir une autre culture 38 %
Motivation : améliorer la qualité de vie 33 %
Durée envisagée de l’expatriation < 5 ans pour 61 %
Très satisfaits qui envisagent de partir 33 %
Destination préférée Canada (29 %)
Frein principal à rester en France Fiscalité (48 %)
Renonceraient à partir si hausse de salaire 36 %

Un investissement public qui s’envole

L’expatriation de ces diplômés représente un coût direct pour les finances publiques, estimé entre 870 et 960 millions d’euros par an. Le coût moyen de formation d’un ingénieur est de 80 050 € (dont 18 560 € pour deux ans de classe préparatoire et 14 310 € par an pour trois années d’école). Pour un diplômé d’école de commerce, l’investissement public s’élève à 21 465 €.

Un départ qui pèse donc lourd sur les comptes publics, sans retour immédiat pour l’économie française.

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Des profils ultra-connectés au monde

Les jeunes diplômés qui partent partagent un profil sociologique spécifique. 48 % ont des liens familiaux avec l’étranger, 67 % connaissent des expatriés dans leur entourage, et 44 % ont déjà vécu à l’étranger pour étudier ou travailler.

Leur regard sur le monde est marqué par une forte ouverture : 63 % voient la mondialisation comme une opportunité pour la France (contre 36 % dans la population générale). L’expatriation suscite chez eux 74 % d’émotions positives, telles que la curiosité, l’admiration ou le respect.

Ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui partent

Loin d’être un signe de rejet ou de désillusion, le départ à l’étranger est souvent le fait des plus intégrés professionnellement. 33 % des diplômés très satisfaits de leur situation envisagent sérieusement de partir, contre 22 % des insatisfaits.

Dans 61 % des cas, l’expatriation est envisagée comme une parenthèse de moins de 5 ans. Elle s’inscrit dans une logique de carrière, comme un tremplin vers des postes à responsabilité.

Les motivations à l’expatriation sont majoritairement positives. Seuls 10 % disent vouloir fuir la France ou un emploi insatisfaisant.

Les raisons les plus fréquentes : 38 % veulent découvrir une nouvelle culture, 37 % améliorer leurs conditions de vie, 34 % vivre une expérience professionnelle à l’étranger, et 33 % améliorer leur qualité de vie globale.

Canada, Suisse, USA : les destinations les plus prisées

Le Canada attire 29 % des candidats à l’expatriation, suivi par la Suisse (22 %), les États-Unis (17 %) et l’Allemagne (16 %). Le choix se fait selon des critères précis : 35 % pour le cadre de vie, 34 % pour les conditions financières, 30 % pour les opportunités professionnelles et 29 % pour l’équilibre vie pro/perso.

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La langue joue un rôle décisif : 59 % des diplômés visent un pays francophone, 57 % un pays anglophone. Le Québec, par exemple, combine les deux.

La France pas assez compétitive

84 % des diplômés identifient au moins un avantage à travailler en France. Les plus cités : la protection sociale (48 %), les congés payés (46 %), la sécurité de l’emploi (38 %) et la qualité de vie (38 %).

Mais les freins sont tout aussi nets : 48 % dénoncent une fiscalité trop élevée, 36 % des salaires jugés insuffisants, et 32 % un marché du travail trop rigide.

Que faudrait-il pour les faire rester ?

Des solutions existent — et elles sont connues des talents eux-mêmes. Du côté des politiques publiques, les mesures les plus efficaces seraient :

  • 79 % : politiques favorisant l’équilibre vie pro/perso (crèches, périscolaire)
  • 78 % : investissements dans la recherche et l’innovation
  • 77 % : incitations fiscales en début de carrière
  • 73 % : aides au logement

Côté entreprises, les priorités sont claires :

  • 86 % jugent nécessaire une hausse des salaires
  • 85 % souhaitent des mesures de qualité de vie au travail
  • 85 % réclament de meilleures perspectives de carrière
  • 84 % attendent une amélioration des conditions de travail

Résultat : 36 % des jeunes pourraient renoncer à l’expatriation en cas de hausse de revenus, 31 % si une opportunité professionnelle plus attractive se présentait en France.

La France attire les étudiants étrangers, mais peine à les retenir

En 2023, la France a accueilli 419 694 étudiants de nationalité étrangère, soit une hausse de 4 % en un an. Mais la majorité repart une fois diplômée.

Les obstacles identifiés sont bien connus : lourdeurs administratives (notamment pour les titres de séjour), intégration sociale et linguistique difficile, salaires peu compétitifs, et une culture professionnelle perçue comme trop hiérarchique.

Paradoxalement, ces talents perçoivent mieux l’écosystème professionnel français (85 %) que ceux qui y ont grandi (64 %). Ils valorisent aussi davantage la diversité des secteurs d’emploi (31 % contre 17 %).

Former, séduire… et enfin retenir

Face à ce constat, le baromètre propose cinq leviers pour renforcer l’attractivité du territoire :

  • Un régime fiscal plus incitatif
  • Une revalorisation salariale ciblée
  • La simplification des démarches administratives (guichet unique multilingue)
  • Des programmes d’intégration efficaces (mentorat, écoles internationales)
  • La valorisation des atouts français (qualité de vie, équilibre de vie, protection sociale)

Loin du mythe d’une « fuite des cerveaux » massive, l’expatriation des jeunes diplômés français reste minoritaire mais significative. Elle soulève une question centrale pour l’avenir : dans une économie mondialisée, la France peut-elle se contenter d’être un pays de formation ? Ou doit-elle devenir un pays de carrière ?



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