Corruption : le jeu trouble de l’ex-Pdg de Casino

Rumeurs, influenceurs, faux profils : le procès Casino expose les coulisses d’une stratégie risquée pour sauver un groupe en pleine tempête.

Résumé Résumé

Le procès de Jean-Charles Naouri, ancien PDG du groupe Casino, s’est ouvert le 1er octobre à Paris. Il est jugé pour corruption privée et manipulation de cours, aux côtés de trois anciens cadres dirigeants.

À l’automne 2018, le groupe Casino traverse une période critique. Endetté à hauteur de 3,4 milliards d’euros, avec une maison mère, Rallye, encore plus fragilisée, le distributeur doit faire face à une pression intense sur les marchés financiers. La valorisation du groupe est alors déconnectée de ses performances commerciales, et les agences de notation envisagent un abaissement de sa note.

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C’est dans ce contexte qu’un partenariat est noué avec le très controversé Nicolas Miguet, éditeur de presse financière connu pour ses publications orientées vers les petits porteurs. Entre août et septembre 2018, plus de 823 000 euros sont versés à Miguet ou à ses structures. Officiellement, ces paiements visent à élargir la base d’actionnaires individuels du groupe. En réalité, le Parquet national financier estime qu’il s’agit d’un levier d’influence destiné à soutenir artificiellement le cours de l’action, notamment en diffusant la rumeur d’une potentielle OPA de Carrefour.

Corruption privée déguisée en stratégie commerciale ?

Le cœur de l’accusation repose sur la qualification de corruption privée. Le tribunal doit déterminer si les sommes versées à Miguet ont permis, en échange, la publication de contenus favorables à Casino dans ses journaux, sans que cette relation commerciale ne soit clairement indiquée. L’absence de transparence sur la nature des liens entre le groupe et Miguet pourrait constituer une infraction au droit boursier, voire aux règles de loyauté applicables aux entreprises cotées.

L’éditeur, déjà condamné à de multiples reprises pour fraudes fiscales et manipulation de cours, ne bénéficiait d’aucune délégation formelle pour parler au nom de Casino. Pourtant, des milliers de salariés ont été abonnés à ses lettres d’information sur décision de la direction, pour un montant supérieur à un million d’euros. Le tribunal s’interroge : cette stratégie visait-elle réellement l’élargissement de l’actionnariat, ou s’agissait-il d’un écran pour influencer les marchés ?

Une communication d’influence au service du cours de Bourse

L’Autorité des marchés financiers, dans une enquête distincte, a identifié une « stratégie de communication organisée » autour de la diffusion de messages positifs sur Casino, parfois via des forums en ligne ou des canaux non officiels. Des salariés du groupe auraient même créé de faux profils sur Boursorama pour contrer les messages critiques et propager des rumeurs favorables.

Cette instrumentalisation des outils numériques place la communication financière au cœur du débat. À quel moment une stratégie de gestion de réputation bascule-t-elle dans la manipulation de marché ? Le flou juridique est réel, d’autant que les pratiques d’influence se déplacent de plus en plus vers des espaces informels, difficilement régulés.

Jean-Charles Naouri, interrogé à la barre, se défend en invoquant l’intérêt stratégique de ces campagnes dans un contexte d’hostilité boursière. Il affirme ne pas s’être informé sur les antécédents de Miguet, qu’il dit avoir rencontré seulement 45 minutes. Pour la présidente de la chambre, ces explications restent insuffisantes face à l’ampleur des moyens mobilisés.

Jusqu’où peut-on aller ?

Ce procès éclaire une évolution plus large : celle d’un capitalisme où la communication ne sert plus seulement à accompagner la performance, mais à la construire, voire à la précéder. En 2018, Casino affichait encore un chiffre d’affaires de 37 milliards d’euros. Pourtant, sa valorisation boursière était divisée par six.

Dans ce contexte, chaque signal envoyé aux marchés peut faire la différence entre un refinancement réussi et une crise de liquidité. La communication devient un outil de survie. Mais jusqu’où peut-on aller ? La ligne entre stratégie d’image et manipulation devient difficile à tracer, surtout lorsqu’elle mobilise des tiers non identifiés, comme des influenceurs financiers ou des forums de discussion.

Témoignages de poids

Parmi les témoins entendus, des figures majeures du monde des affaires : Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, et Matthieu Pigasse, alors dirigeant de Lazard France. Le nom d’Alain Minc, conseiller influent, apparaît également dans le dossier. La défense de Naouri affirme que 17 réunions ont eu lieu entre Casino et Carrefour en septembre 2018, suggérant que la rumeur d’OPA n’était pas totalement infondée.

Mais l’argument peine à convaincre. L’accusation souligne que ces discussions, aussi réelles soient-elles, n’étaient ni publiques ni suffisamment avancées pour justifier leur instrumentalisation dans les publications de Miguet. L’affaire prend également une dimension historique et affective avec la constitution de partie civile de 11 descendants de Geoffroy Guichard, fondateur de Casino. Ils dénoncent une atteinte à l’image du groupe et à leur héritage moral, transformant le procès en un conflit entre mémoire familiale et pratiques contemporaines du capitalisme.

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Indépendamment du procès pénal, des sanctions administratives ont déjà été prononcées. En octobre 2024, l’AMF a infligé une amende de 25 millions d’euros à Rallye pour diffusion d’informations trompeuses entre 2018 et 2019. Franck Hattab, ancien directeur général de la holding, a été personnellement sanctionné à hauteur d’un million d’euros. Ces éléments renforcent la gravité du dossier.

Casino affaibli

Depuis le départ de Jean-Charles Naouri en 2024, le groupe Casino a profondément changé. Il est passé sous le contrôle du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. La nouvelle direction a engagé une restructuration drastique : le chiffre d’affaires est tombé à 8,5 milliards d’euros, 2 200 emplois ont été supprimés, et la dette reste élevée. Une nouvelle échéance de remboursement de 1,4 milliard d’euros est attendue en mars 2027.



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