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- Des salaires de dirigeants souvent en deçà des standards attendus
- Des niveaux comparables aux cadres dirigeants du secteur traditionnel
- Des charges sociales qui alourdissent considérablement le coût réel
- Des risques financiers personnels majeurs
- Une frontière floue entre vie pro et perso
- Une rentabilité incertaine, même après la levée de fonds
La figure du fondateur de start-up millionnaire, naviguant entre levées de fonds spectaculaires et valorisations à plusieurs zéros, reste bien ancrée dans l’imaginaire collectif. Pourtant, la réalité économique des dirigeants de jeunes pousses françaises est loin de cette image dorée.
« J’ai lancé la start-up en janvier 2024 avec mon frère et un proche de la famille, explique Matthieu, entrepreneur basé à Paris. On développe une plateforme SaaS pour aider les PME industrielles à mieux piloter leur consommation d’énergie. Depuis le début, aucun de nous ne se verse de salaire. Les 150 000 euros que nous avons levé ont été investis dans le produit, le recrutement et la prospection. Je vis sur mes économies, et sans le soutien de ma compagne, ce serait très compliqué. On savait que ce serait difficile, mais le décalage entre ce que les gens imaginent et ce qu’on vit est énorme.»
Son témoignage illustre une réalité encore largement méconnue : celle de fondateurs qui acceptent des conditions économiques précaires au nom d’un projet entrepreneurial, souvent perçu à tort comme immédiatement rémunérateur.
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Des salaires de dirigeants souvent en deçà des standards attendus
Contrairement aux idées reçues, les salaires des fondateurs de start-up sont loin d’être extravagants. Selon une étude du Journal du Net publiée l’an dernier, la rémunération médiane d’un fondateur s’élève à 120 000 euros brut par an. Un chiffre qui cache de fortes disparités : dans les entreprises ayant levé moins de 5 millions d’euros, la médiane chute à 90 000 euros. À l’inverse, les dirigeants de start-up ayant levé plus de 50 millions atteignent 150 000 euros annuels, selon SeedLegals.
La comparaison avec les États-Unis illustre un écart notable. Kruze Consulting indique qu’un fondateur américain en phase seed perçoit environ 130 000 dollars (soit environ 120 000 euros), tandis qu’en Series B, la moyenne grimpe à 250 000 dollars. Et même si les salaires tech ont reculé de 15 % en 2024 dans la Silicon Valley (source : Emploi Developpez, juin 2024), les rémunérations y restent largement supérieures aux standards français.
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Des niveaux comparables aux cadres dirigeants du secteur traditionnel
Rapportées aux salaires des cadres du secteur traditionnel, les rémunérations des fondateurs de start-up apparaissent à peine plus élevées, voire équivalentes. Selon Talents Executive (janvier 2025), un cadre dirigeant en France gagne en moyenne 107 000 euros annuels. L’INSEE indique pour sa part une moyenne nette de 102 800 euros en 2024.
Avant leur première levée de fonds, la majorité des fondateurs ne se versent aucun salaire. Selon SeedLegals, ces entrepreneurs vivent grâce à leurs économies personnelles, aux allocations chômage ou au soutien familial.
« J’ai commencé avec un salaire de junior entre 40 000 et 50 000 euros. Tant que la boîte n’était pas rentable, je ne me voyais pas prendre une grosse rémunération, peu importe si certains de mes employés étaient mieux payés que moi », témoigne Guillaume David, fondateur de Madeinvote (JDN, février 2024).
Des charges sociales qui alourdissent considérablement le coût réel
Au-delà du brut, le système social français pénalise fortement les rémunérations des dirigeants. Selon Join Jump (août 2025), un gérant majoritaire en SARL supporte environ 45 à 50 % de charges sociales. Pour un président de SAS, les charges atteignent 64 % du salaire brut, patronales et salariales comprises.
Legalstart va plus loin : pour un salaire brut de 90 000 euros, le coût total atteint 130 500 euros en SARL et grimpe à 148 500 euros en SAS. Ce système impacte directement le pouvoir d’achat. Un fondateur percevant 90 000 euros brut ne touchera qu’environ 70 200 euros nets, soit 13 260 euros de moins qu’un dirigeant de PME bénéficiant d’un régime social différent.
Des risques financiers personnels majeurs
Le parcours entrepreneurial expose les fondateurs à des risques souvent ignorés du grand public. La quasi-totalité des banques exige une caution personnelle pour accorder un prêt, ce qui engage directement le patrimoine privé des dirigeants.
En cas de défaillance, les créanciers peuvent saisir la résidence principale, les comptes épargne et, dans certains cas, impliquer le conjoint selon le régime matrimonial. L’Expert-Comptable rappelle que la responsabilité du fondateur peut dépasser ses apports s’il s’est porté caution.
Ces risques sont accentués par un taux de défaillance en forte hausse. Selon la Fondation MMA, le taux de faillite des start-ups dites matures est passé de 0,5 % en 2022 à 5,6 % en 2024. La Banque de France rapporte que 82 start-ups ont été placées en procédure judiciaire en 2024, dont 57 au cours de l’année, soit un taux annuel de sinistralité de 2,5 %.
Le phénomène s’est accéléré : 70 % des entreprises en difficulté ont été directement placées en liquidation judiciaire (Banque de France, septembre 2025).
Une frontière floue entre vie pro et perso
Les fondateurs de start-up s’imposent des rythmes de travail largement supérieurs à la norme. L’étude Hiscox (septembre 2025) indique une moyenne de 44,5 heures hebdomadaires pour les entrepreneurs français, avec 43 % dépassant les 50 heures par semaine.
La charge de travail se traduit aussi par un coût psychologique élevé. Près de 40 % des entrepreneurs présentent une probabilité modérée ou élevée de burn-out, selon l’étude WILLA-Harmonie Mutuelle (octobre 2024). Toujours selon cette étude, 88 % des fondateurs se disent émotionnellement épuisés et 84 % déclarent ressentir une fatigue qui dépasse le simple surmenage en fin de journée.
BPI France (juin 2025) confirme que 82 % des dirigeants souffrent d’au moins un trouble physique ou psychologique, un chiffre en hausse de 11 points en un an. Seulement 68 % d’entre eux se considèrent aujourd’hui en bonne santé mentale, contre 76 à 80 % les années précédentes.
Une rentabilité incertaine, même après la levée de fonds
Malgré les levées, l’équilibre financier reste précaire. Selon la Banque de France (septembre 2025), 41 % des start-ups de son échantillon affichent un résultat d’exploitation positif, contre 59 % avec un résultat négatif, pour un total de 4,1 milliards d’euros de pertes cumulées. Les start-ups en perte disposent de moins d’un an de trésorerie en l’absence d’une nouvelle levée.
Le pari sur la valorisation des parts constitue la principale promesse d’enrichissement pour les fondateurs. Mais cette rémunération différée est hautement aléatoire. Le taux d’échec des start-ups, estimé entre 60 % et 90 %, rend l’accès à cette plus-value très incertain.
Seuls 52 entrepreneurs français de la tech figurent dans le classement des 500 plus grandes fortunes professionnelles, preuve que l’enrichissement par l’hypercroissance reste réservé à une infime minorité.