Exaion, la vente qui menace la souveraineté française

En vendant Exaion, EDF ouvre la porte à une perte de contrôle stratégique. La souveraineté numérique française est-elle encore une priorité pour l’État ?

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La vente partielle d’Exaion, filiale technologique d’EDF, à l’américain Marathon Digital, ravive un débat essentiel : la France peut-elle encore prétendre au contrôle de ses infrastructures critiques à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle ? Si la somme sur la table est conséquente – 168 millions d’euros pour commencer, avec une option d’extension à 75 % du capital – le prix politique et stratégique pourrait s’avérer bien plus élevé.

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Exaion, pion technologique essentiel

Née dans le giron d’EDF en 2020, Exaion n’est pas une startup comme les autres. Elle ne fait pas de marketing tapageur, mais ses activités touchent aux nerfs vitaux du pays. Spécialisée dans le calcul haute performance, la blockchain et le traitement sécurisé des données, l’entreprise compte déjà 70 ingénieurs et dispose du statut réglementé de PSAN. Son ADN repose sur une hybridation rare entre le numérique et l’énergétique, avec des data centers alimentés par le surplus électrique d’EDF. Cette configuration unique lui permet de concilier performance technologique et réduction de l’empreinte carbone.

Dans le paysage français, peu d’acteurs maîtrisent à la fois la couche matérielle – les infrastructures – et les couches logicielles critiques de traitement de données. Exaion est de ceux-là. Elle intervient dans des secteurs sensibles : santé, recherche publique, cybersécurité, services administratifs. À ce titre, elle ne peut être considérée comme un actif ordinaire.

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Cloud Act : menace sur les données sensibles

L’entrée de Marathon Digital, acteur dominant du minage de cryptomonnaies aux États-Unis, change la donne. Avec un contrôle majoritaire d’ici 2027, Exaion basculerait sous juridiction américaine. Ce transfert soulève un risque juridique bien connu mais souvent sous-estimé : le Cloud Act, voté en 2018, autorise les autorités américaines à exiger l’accès à des données hébergées par toute entreprise soumise au droit américain, même si les serveurs sont localisés à l’étranger.

Dans le cas d’Exaion, ce changement de statut ferait tomber des données stratégiques françaises – parfois ultra-sensibles – dans un flou juridique qui laisse peu de place à la souveraineté. L’argument selon lequel ces données resteraient physiquement hébergées en France ne pèse pas lourd face aux réalités du droit extraterritorial. Pour les services publics et les entreprises françaises, cela reviendrait à confier ses clés à une puissance étrangère.

Une classe politique en alerte sur la perte de contrôle stratégique

Face à ce risque, l’opposition politique monte en cadence. De droite comme de gauche, les critiques se cristallisent autour de deux lignes rouges : la souveraineté numérique et l’indépendance énergétique. Éric Ciotti parle d’un « transfert inacceptable » de savoir-faire et de contrôle. L’ancien ministre Antoine Armand y voit un « démantèlement progressif de la souveraineté technologique française », s’inquiétant d’un mouvement plus large de cessions d’actifs à haute valeur stratégique.

Ces inquiétudes ne relèvent pas du réflexe protectionniste. Elles traduisent une interrogation légitime sur la cohérence de la stratégie industrielle française. D’un côté, on affirme vouloir bâtir une autonomie technologique européenne ; de l’autre, on cède à des logiques de court terme des infrastructures qui permettent justement cette autonomie. Le discours sur la souveraineté ne résiste pas toujours à l’épreuve des bilans financiers.

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient

Marathon Digital ne se présente pas en prédateur. Le groupe affiche des ambitions européennes claires, avec 5 milliards d’euros d’investissements prévus sur cinq ans. Il veut faire de la France un pôle d’excellence en calcul haute performance et IA, en valorisant les capacités énergétiques locales. Dans ses éléments de langage, tout y est : transition énergétique, IA responsable, ancrage territorial, coopération avec EDF. Mais l’histoire industrielle récente abonde en exemples de promesses non tenues, de centres de décision déplacés, ou d’alignements stratégiques rapidement rompus.

L’État, seul actionnaire d’EDF, a encore la capacité de bloquer l’opération. Le ministère de l’Économie doit statuer dans les prochaines semaines. La procédure de contrôle des investissements étrangers (IEF) offre un cadre. Mais la vraie question est ailleurs : la France est-elle prête à défendre une vision long terme de sa souveraineté, ou cédera-t-elle à nouveau à la tentation du capital disponible, même lorsqu’il implique une perte de contrôle stratégique ?



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