Résumé Résumé
On les appelle « classes moyennes supérieures », « actifs stables », « premiers de cordée ». Ils sont jeunes, diplômés, en CDI, travaillent dans la banque, les assurances, la santé, le conseil… Sur le papier, ils incarnent la réussite professionnelle, la stabilité financière, l’aboutissement d’un modèle méritocratique. Mais derrière cette façade, certains ont du mal à joindre les deux bouts.
« Je m’appelle Emma, j’ai 29 ans, je vis à Paris et je travaille comme conseillère bancaire dans une grande agence du 1ᵉʳ arrondissement. Cela fait bientôt six ans que je fais ce métier. Aujourd’hui, je touche 2700 euros nets par mois. Un bon salaire ? Oui, si on ne regarde pas ce qu’il en reste une fois que tout est payé.
J’habite dans le 11ᵉ arrondissement, dans un studio de 27 m² pour lequel je paie 1090 euros de loyer. Ce n’est ni un quartier huppé ni un appartement luxueux. Il est bien placé, mais mal isolé. En hiver, je dois souvent laisser le chauffage électrique allumé toute la journée. Ma facture d’électricité dépasse parfois les 100 euros par mois.
« Je fais mes courses chez Lidl »
À cela s’ajoutent 85 euros de pass Navigo, 40 euros d’abonnement internet/téléphone, 25 euros pour une mutuelle complémentaire non prise en charge par ma boîte, 70 euros d’assurance habitation. On est déjà à plus de 1300 euros de charges fixes, sans compter l’alimentation, les soins, les dépenses imprévues ou sociales.
Côté alimentation, j’essaie de faire attention. Je fais mes courses chez Lidl ou dans les marchés vers Bastille, mais les prix ont explosé. Un panier hebdomadaire me coûte aujourd’hui entre 60 et 80 euros, en ne prenant que l’essentiel : légumes, pâtes, œufs, un peu de viande. J’ai complètement arrêté les plats préparés, les petits plaisirs comme les fromages, les jus, les fruits exotiques. Tout ça est devenu un luxe.
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Je ne sors presque plus. Un verre en terrasse, c’est 5 à 8 euros. Un resto, rarement moins de 25 euros. Quand je vais voir une amie, je dois calculer : est-ce que je vais prendre un taxi pour rentrer si le métro est fermé ? Est-ce que je peux lui amener une bouteille ? Il m’est arrivé de décliner des invitations juste parce que je ne pouvais pas suivre.
Et pourtant, je travaille. Je travaille beaucoup. Je suis à l’agence de 9h à 18h30, avec parfois des heures supplémentaires non payées. On attend de moi une attitude irréprochable, une apparence soignée, une performance commerciale constante. J’ai même suivi une formation en ligne, payée de ma poche, pour améliorer mes compétences en gestion patrimoniale – dans l’espoir d’une promotion.
« Il faut arrêter de croire qu’avec 2700 euros par mois, on est à l’abri »
Mais les augmentations sont maigres, les primes aléatoires. Et pendant ce temps, tout augmente autour de moi : l’immobilier, les transports, les charges, les courses. Je regarde mon compte courant chaque semaine avec anxiété. Malgré mes efforts et mes sacrifices, je finis chaque mois à découvert. Parfois, je reporte des paiements de factures. Moi, la conseillère bancaire à qui on demande faire la leçon aux clients qui ne s’en sortent pas ! Mes collègues sont dans la même situation. L’une d’elles vit en colocation, une autre est retournée chez ses parents en banlieue. On en rit parfois, mais l’amertume est là.
Je n’ai pas d’enfant, pas de voiture, pas de crédit à rembourser. Et malgré ça, je ne mets quasiment rien de côté. Si je devais faire face à une dépense inattendue – comme un appareil électroménager à remplacer, un problème de santé non remboursé – je serais en difficulté. Je ne veux pas me plaindre. Je suis consciente de ma position, de mes privilèges relatifs. Mais il faut arrêter de croire qu’avec 2700 euros par mois, on est à l’abri. À Paris, en 2025, ce n’est tout simplement plus vrai. Le coût de la vie est tel qu’on survit, on ne vit pas.
Et le plus dur, c’est de se dire que malgré les efforts, malgré les diplômes, malgré l’emploi stable, on ne parvient pas à construire. Ni à épargner, ni à investir, ni même à envisager sereinement l’avenir. C’est comme si on pédalait dans le vide. On avance, mais on n’arrive jamais nulle part. Je ne veux pas baisser les bras. Mais aujourd’hui, je suis fatiguée. Fatiguée de devoir justifier que je suis dans la galère alors que j’ai tout fait comme il faut. Fatiguée de faire semblant que ça va, quand je me couche le soir avec la boule au ventre. »
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