Vers la gratuité généralisée des transports publics en France ?

Transports publics : la gratuité progresse dans plusieurs villes françaises. Une généralisation est-elle possible, malgré les coûts et les défis ?

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À mesure que les élections municipales de 2026 approchent, la gratuité des transports publics refait surface dans le débat politique. Le sujet divise. D’un côté, ses partisans y voient un levier de justice sociale et un outil pour accélérer la transition écologique. De l’autre, ses détracteurs dénoncent une mesure coûteuse, sans réel effet sur le comportement des automobilistes. En filigrane, une tension persistante entre impératifs budgétaires et ambitions environnementales.

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Une revendication qui s’installe dans le paysage

La gratuité des transports n’a rien de neuf. Introduite au début des années 2000 dans de petites villes, elle a depuis gagné du terrain. Des villes comme Dunkerque, Montpellier, Niort ou Calais ont sauté le pas, chacune à sa manière. Strasbourg a opté pour une gratuité partielle pour les mineurs. Cette tendance s’est accentuée au fil des crises : inflation post-Covid, hausse du carburant, crise climatique. Le transport représente aujourd’hui plus de 12 % du budget des ménages. Et la voiture reste ultra-dominante, avec 82 % des trajets. À l’inverse, les transports en commun, peu émetteurs de CO₂, stagnent à 16 %.

Les élus écologistes ou de gauche en ont fait un marqueur politique. Pour eux, la gratuité peut changer les habitudes. Mais à l’échelle nationale, la question reste posée : peut-on l’étendre sans faire exploser les coûts ?

Un coût budgétaire qui inquiète les magistrats

En septembre, la Cour des comptes a jeté un pavé dans la mare. Dans un rapport sévère, elle estime qu’une gratuité totale dans des territoires comme l’Île-de-France coûterait 2,5 milliards d’euros par an. Trop lourd pour les finances publiques, selon les magistrats. Le risque est connu : baisse de qualité de service, lignes saturées, investissements gelés.
Autre point de critique : l’impact limité sur le report modal. Autrement dit, la gratuité ne convainc pas forcément les automobilistes de changer de moyen de transport. Elle bénéficie surtout à ceux qui utilisaient déjà les transports en commun.

Plutôt que la gratuité généralisée, la Cour suggère une amélioration des dispositifs de tarification sociale, mieux ciblés et plus soutenables à long terme. Elle n’écarte pas non plus une hausse modérée des tarifs, pour garantir l’équilibre financier des réseaux.

Des retours positifs dans certaines villes

Les conclusions du rapport n’ont pas convaincu tout le monde. À Montpellier, le maire Michaël Delafosse parle d’une vision « comptable », incapable de saisir les bénéfices indirects : pouvoir d’achat, santé publique, attractivité du territoire. À Dunkerque, la gratuité a dopé la fréquentation de 60 % depuis 2018. Les trajets liés aux loisirs, à la culture ou aux visites familiales sont en forte hausse, notamment chez les jeunes et les seniors.

À l’étranger, plusieurs villes ont tenté l’expérience. Le Luxembourg a instauré un réseau national gratuit en 2020. Tallinn (Estonie) et Kansas City (États-Unis) l’ont aussi fait. Mais ces exemples sont difficilement transposables à des métropoles comme Paris, où la densité, la fréquentation et les besoins d’investissement sont d’un autre ordre de grandeur.

Des pistes pour concilier justice sociale et viabilité

Plutôt qu’un modèle unique, certains plaident pour une approche ciblée. Gratuité le week-end, pour les jeunes, les demandeurs d’emploi, ou via une tarification sociale renforcée selon les revenus. Cela permet de toucher les publics prioritaires sans déséquilibrer le système.

Le financement reste le nœud du problème. En Île-de-France, les recettes viennent à 58 % des entreprises (via le versement mobilité et les remboursements d’abonnement), à 23 % des usagers, le reste étant assuré par les collectivités et l’État. Une gratuité totale ferait sauter cet équilibre fragile. Pour compenser, il faudrait taxer davantage le stationnement, le tourisme ou les entreprises. Mais dans un contexte de dette publique record, ces marges de manœuvre sont étroites.

L’Île-de-France, un cas à part très contraint

Avec l’un des réseaux les plus vastes du monde, l’Île-de-France transporte chaque jour des millions de passagers. En 2023, son coût de fonctionnement a frôlé les 10 milliards d’euros. Et la facture grimpe encore. Entre la hausse démographique, l’allongement des trajets domicile-travail et la pression touristique, la région est sous tension.

Les projets en cours – notamment le Grand Paris Express avec ses 200 km de lignes automatiques – alourdissent la note. Prévu pour 2030, le chantier atteindrait 36 milliards d’euros, soit près du double du budget initial. Sans compter le renouvellement du matériel, la sécurité, la ponctualité ou la propreté des trains et des gares. Dans ce contexte, une hausse massive de fréquentation induite par la gratuité nécessiterait des moyens humains et techniques supplémentaires, aujourd’hui hors de portée.

Un outil politique plus qu’un levier de transformation ?

Pour une grande métropole comme Paris, la gratuité pourrait toutefois jouer un rôle d’image. Être la première capitale mondiale à offrir un réseau totalement gratuit aurait un effet symbolique fort, en ligne avec une stratégie d’attractivité internationale et de leadership écologique. Les retombées indirectes – notamment sur le tourisme ou la santé publique – existent, même si elles restent difficiles à quantifier.

Mais derrière ce coup d’éclat, le problème reste entier : comment financer durablement un réseau déjà sous pression, sans compromettre sa qualité ou ses capacités d’adaptation ?



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