Résumé Résumé
L’annonce est tombée sans préavis, tombé de l’Elysée. Le 26 septembre 2025, Emmanuel Macron désigne Jean Castex pour succéder à Jean-Pierre Farandou à la présidence de la SNCF. Aucune procédure publique, aucun appel à candidatures, aucun débat préalable. Le ministère des Transports valide sans attendre. Une méthode expéditive, dénoncée jusque dans les rangs de la majorité, qui remet en cause la transparence du processus. La loi de 2017 prévoit pourtant une sélection ouverte pour les postes stratégiques, encadrée par un comité d’évaluation indépendant. Elle est ici contournée.
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Philippe Tabarot, reconduit à son poste de ministre des Transports fin 2024, sera chargé de superviser les auditions parlementaires prévues d’ici au 11 novembre. Proche de l’Élysée, il cristallise les critiques : l’opposition dénonce un verrouillage du processus ; certains députés macronistes parlent d’un choix verrouillé. L’arrivée de Jean Castex intervient après un mandat écourté à la RATP, quitté avant son terme. Une trajectoire qui donne le sentiment d’un usage politique des grandes entreprises publiques, plus que d’un projet industriel pensé à long terme.
Une nomination sans appel d’air démocratique
La précipitation de cette désignation interroge d’autant plus que la HATVP n’a, à ce jour, pas rendu son avis. En 2022, lors de son arrivée à la tête de la RATP, Jean Castex avait dû se soumettre à un encadrement strict. La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique lui interdisait alors tout contact avec plusieurs anciens membres du gouvernement, et limitait ses liens avec les cabinets de conseil. Cette fois, rien n’a filtré. L’Élysée parle d’une nomination « sous réserve de l’avis » de la HATVP, sans préciser ni calendrier ni contenu.
Cet avis, rappelons-le, n’est pas contraignant. En théorie, il peut être ignoré. En pratique, il devient un simple signal politique, utilisé pour légitimer des décisions déjà prises. L’affaire souligne la faiblesse du contrôle éthique exercé sur les nominations dans les grandes entreprises publiques. Le principe d’indépendance du processus est affaibli. Et l’opacité profite à l’exécutif.
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Une entreprise publique en crise de modèle économique
La tâche qui attend Jean Castex est immense. La SNCF traverse une crise budgétaire profonde. Sa branche Réseau réclame 1,5 milliard d’euros annuels supplémentaires pour éviter la dégradation de 4 000 km de voies d’ici à 2028. Sans ce soutien, les suppressions et retards de trains pourraient exploser, touchant jusqu’à 2 000 circulations quotidiennes selon les projections internes.
Le gouvernement mise sur un transfert partiel des recettes autoroutières, à partir de 2031. Un horizon trop lointain. D’ici là, un vide budgétaire de cinq ans fragilise tout effort d’investissement. Régions, élus locaux et syndicats tirent la sonnette d’alarme. Ce manque de visibilité financière pèse déjà sur les lignes régionales et les grands nœuds ferroviaires. L’ampleur du chantier est connue. La volonté politique, elle, reste à démontrer.
Concurrence ferroviaire : le grand saut mal préparé
L’ouverture du rail à la concurrence s’accélère, mais sans filet. Pour la première fois, la SNCF a perdu l’exploitation d’un marché structurant : les TER de l’étoile ferroviaire de Caen passent à RATP Dev. D’autres régions — PACA, Grand Est — préparent leur propre bascule. Ce basculement n’a rien de théorique. Il s’ancre dans un réseau sous-dimensionné, vétuste, difficilement accessible aux nouveaux entrants.
Un rapport du Sénat publié en janvier 2025 est clair : péages trop élevés, voies saturées, absence de transparence dans l’allocation des sillons. Autant d’obstacles qui confinent à une ouverture de façade. Jean Castex hérite d’un système déséquilibré, où la concurrence existe sur le papier, mais reste étouffée dans les faits. La SNCF ne pourra rester à mi-chemin indéfiniment.
Une réforme ferroviaire à hauts risques politiques
Face à ces tensions, l’exécutif prépare une loi-cadre pour le rail. Issue de la conférence « Ambition France Transports » de juillet 2025, elle sera présentée en Conseil des ministres en décembre. Parmi les mesures envisagées : l’affectation totale des recettes autoroutières au ferroviaire, la réduction de la durée des concessions, et un recentrage des contrats publics sur la rentabilité opérationnelle. Objectif : dégager 1,5 milliard d’euros par an à partir de 2028.
Jean Castex devra piloter cette réforme. Un projet de transformation qui exige à la fois du courage politique et une fine capacité de négociation avec les collectivités, les syndicats, l’Autorité de régulation et le Parlement. Rien ne dit, à ce stade, qu’il dispose de la marge de manœuvre pour mener ce chantier à terme. Encore moins de l’autonomie pour s’écarter d’une feuille de route décidée ailleurs.
Un choix de continuité
La nomination de Jean Castex n’est pas un simple mouvement de chaises dans la haute fonction publique. Elle révèle une gestion du service public ferroviaire à courte vue. L’absence de procédure ouverte, l’encadrement éthique allégé, la concentration du pouvoir exécutif sur les leviers de nomination : autant de signaux faibles qui tracent les contours d’une gouvernance verrouillée.
Alors que le rail est au cœur de la transition écologique, les attentes sont immenses. L’ancien Premier ministre devra prouver qu’il n’est pas qu’un agent de continuité politique. Il lui faudra faire des choix. Clairs, lisibles, assumés. Sur le financement des infrastructures. Sur l’équité de la concurrence. Sur l’avenir du service public. En somme, sur le rôle même de l’État face à une entreprise devenue stratégique pour le pays.