Fabrice Arfi, l’homme qui a fait tomber Sarkozy

Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, est à l’origine de l’enquête qui a mené à la condamnation historique de Nicolas Sarkozy dans l’affaire du financement libyen.

Résumé Résumé

Pour la première fois sous la Ve République, un ancien président français est condamné à une peine de prison ferme. Nicolas Sarkozy, reconnu coupable d’association de malfaiteurs dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007, écope de cinq ans de prison avec mandat de dépôt et exécution provisoire. Cette décision sans précédent n’aurait pu voir le jour sans le travail patient et rigoureux de Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, dont l’enquête aura duré quatorze ans.

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Le jugement du 25 septembre 2025 entérine l’authenticité des révélations publiées depuis 2012 par Arfi et son confrère Karl Laske. Il valide la pertinence d’un journalisme d’enquête long, méthodique, collaboratif, au service de l’intérêt public. Le tribunal a justifié sa décision par « la gravité exceptionnelle des faits qui a altéré la confiance que les citoyens ont en leurs responsables et les institutions », évoquant un « pacte de corruption faustien » .

Les racines lyonnaises d’un parcours hors normes

Fabrice Arfi naît à Lyon le 4 septembre 1981 dans un environnement social et familial particulièrement sensible aux enjeux politiques et judiciaires. Sa mère est enseignante militante socialiste, son père, Alain Arfi, est inspecteur à la brigade financière de Lyon avant de devenir avocat. Il est notamment impliqué dans une enquête sur des fausses factures qui éclaboussent plusieurs partis politiques dans les années 1980, dont celle visant Radio Nostalgie et le député-maire Charles Hernu. Arfi parlera plus tard de cette influence comme d’une « mythologie paternelle particulière » .

Ce contexte familial nourrit très tôt une compréhension intuitive des mécanismes de la corruption. Il forge chez lui une acuité particulière pour les rouages du pouvoir et ses dérives.

Un itinéraire atypique, de la chronique rock à la justice

Titulaire d’un bac économique et social obtenu au lycée Ampère à Lyon, Arfi ne suit pas les parcours traditionnels du journalisme. Il s’inscrit brièvement à l’ISCPA, mais son premier stage en novembre 1999 au Lyon Figaro l’oriente rapidement vers une carrière professionnelle. Il est alors repéré et embauché comme chroniqueur musical.

À 18 ans, il devient journaliste culturel. En 2000, il passe à la chronique judiciaire, après le départ à la retraite de son collègue Gérard Schmitt. Cette transition est décisive. « Il y a quelque chose qui m’a toujours titillé dans la chronique judiciaire, c’était de considérer que nous journalistes étions spectateurs d’une histoire qui était déjà écrite » (La Péniche, 31 octobre 2022), explique-t-il plus tard.

La Tribune de Lyon : choc fondateur sur l’indépendance

En 2005, Arfi co-fonde Tribune de Lyon avec plusieurs confrères, dont Alice Géraud et François Mailhes. Mais l’expérience tourne court : l’investisseur souhaite instrumentaliser le journal en soutien à la future campagne municipale du maire de Lyon. En 2007, Arfi est limogé pour avoir voulu publier une enquête sur le financement occulte de l’antenne locale du Parti socialiste. « Celui qui tenait la bourse entendait instrumentaliser le journal à des fins politiques » (Bondy Blog, 31 mars 2017).

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Il rejoint Mediapart en mars 2008, quelques mois après sa création par Edwy Plenel. Il y devient co-responsable du pôle Enquêtes avec Michaël Hajdenberg. Arfi rejette l’idée de « fils spirituel » de Plenel, une étiquette que lui attribue Vanity Fair, mais concède « beaucoup de respect, d’admiration et d’affection » (RCF, 5 janvier 2025) pour le fondateur du média.

Il refuse l’étiquette de « journaliste d’investigation », qu’il considère comme un pléonasme : « À partir du moment où vous allez chercher une information, que vous la vérifiez, la contextualisez et la publiez, vous faites du journalisme d’information. Vous faites de l’enquête » (La Péniche, 31 octobre 2022).

Affaire Bettencourt : une révélation fondatrice

En 2010, avec son confrère Fabrice Lhomme, Arfi révèle l’affaire Woerth-Bettencourt, à partir d’enregistrements réalisés par le majordome de Liliane Bettencourt. Les journalistes de Mediapart démontrent que l’héritière de L’Oréal dispose de comptes cachés à l’étranger (Suisse, Singapour) et qu’elle a employé Florence Woerth, épouse du ministre du Budget, tandis que son mari était en charge du contrôle fiscal.

Mediapart a réalisé une « stricte sélection » des extraits des enregistrements, publiant uniquement ce qui relevait de l’intérêt public. Les réactions politiques sont violentes : Xavier Bertrand dénonce des « méthodes fascistes » .

L’affaire Cahuzac illustre la méthode Arfi. L’intuition naît d’un détail : Cahuzac défend systématiquement Éric Woerth, alors empêtré dans Bettencourt. « Cela fait partie de notre travail d’avoir l’esprit mal tourné » (GIJN, 3 juillet 2022), admet-il. Mais il ajoute : « Le drame, ce serait d’être prisonnier de nos a priori ».

Le 3 décembre 2012, Mediapart révèle que Jérôme Cahuzac détient un compte bancaire non déclaré en Suisse. Il nie pendant des mois. Plus tard, Arfi révèle que Pierre Moscovici avait lancé « une enquête administrative secrète » et envoyé « dans le dos du procureur » des questions biaisées aux autorités suisses. Résultat : « M. Cahuzac n’a pas de compte en Suisse », répondent-elles (Brut, 11 février 2018).

Cette tentative de torpillage aurait pu réussir. « Nous aurions été des calomniateurs… lui serait peut-être devenu Premier ministre » (Brut, 11 février 2018), affirme Arfi. L’affaire mène à la création du Parquet national financier (PNF), structure essentielle dans la suite des affaires.

L’affaire Sarkozy-Kadhafi : quatorze ans d’enquête

L’investigation sur le financement libyen commence en 2011, après la chute de Kadhafi. Un mystérieux e-mail évoque des documents sur Ziad Takieddine. Le 28 avril 2012, Mediapart publie une note signée de Moussa Koussa, chef des services secrets extérieurs libyens, évoquant un financement de 50 millions d’euros (Wikipedia, 5 mai 2012).

Personne n'y comprend rien - Bande-annonce (2025)
Le documentaire Personne n’y comprend rien, réalisé par Yannick Kergoat, raconte les quatorze années d’enquête de Fabrice Arfi et Karl Laske ayant abouti au procès du financement libyen de la campagne électorale de 2007


Sarkozy dénonce un « faux grossier », François Fillon parle d’un « document impossible à authentifier », et accuse Mediapart d’être une « officine » de Hollande. Pourtant, après quatre ans d’instruction, la justice valide l’authenticité du document : en-tête, logo, typographie, dates, vocabulaire – tout est conforme.

Au total, Arfi et Laske publient plus de 150 articles, soit 1 400 pages d’enquête (Au Poste, 7 janvier 2025). « On passe plus de temps à ne pas publier qu’à publier », rappelle Arfi (GIJN, 3 juillet 2022).

La méthode Arfi : rigueur, archives, collectif

Le succès d’Arfi repose sur une méthode exigeante. D’abord, l’archivage. « On a trouvé de nombreux bons sujets en plongeant dans nos archives ». Ensuite, la confrontation : « Le but, c’est l’épreuve du réel » (GIJN, 3 juillet 2022). L’intuition n’a de valeur que testée.

En 2023, Mediapart révèle que depuis sa cellule, Arnaud Mimran, condamné dans l’affaire des quotas carbone, a proféré des menaces de mort : « Fabrice Arfi, c’est le pire des sales mecs de la terre » (Mediapart, 1er octobre 2023).

Autre épisode : la fausse rétractation de Takieddine en 2020, diffusée par BFMTV « dans le dos de la rédaction », révèle une tentative grossière de manipulation médiatique (Arrêt sur Images, 11 juillet 2024).

Un journalisme transmédiatique et littéraire

En 2025, Arfi reçoit le prix Jean Daniel pour La Troisième Vie (Seuil), une enquête littéraire sur Vincenzo Benedetto, soupçonné d’avoir été un espion de la Securitate. Il co-signe aussi Personne n’y comprend rien, documentaire réalisé par Yannick Kergoat, vu par plus de 142 000 spectateurs (Rembobine, 7 avril 2025), financé via un crowdfunding de plus de 500 000 euros. « Cette affaire est emblématique, mais difficile à comprendre quand elle s’étale sur autant d’années », souligne Kergoat (Rembobine, 7 avril 2025).

Les révélations d’Arfi ont contribué à créer un écosystème anticorruption : PNF, HATVP, AFA, OCLCIFF (Tribunal de Paris, 2024). Jean-François Bohnert, procureur financier, rappelle que le PNF est né en réaction directe à l’affaire Cahuzac. Aujourd’hui, ce sont ces institutions qui poursuivent Nicolas Sarkozy.



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