La méthode Lecornu, entre silence et contrôle

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Il ne dit rien, mais il avance. Tel un moine, nous dit-on. Il s’isole, médite, trace en solitaire les lignes d’un gouvernement qui, pour l’instant, n’a ni chair ni souffle, sinon celui des tractations d’arrière-cour et des silences d’appareil. Sébastien Lecornu n’a pas encore parlé, mais son mutisme résonne déjà comme un manifeste. Celui d’un pouvoir qui ne cherche pas le tumulte démocratique, mais l’efficacité d’un cénacle, l’horizontalité feinte d’une verticalité toujours plus assumée.

Michel Barnier et François Bayrou battaient des records de lenteur. Lecornu est en passe de les pulvériser. Et ce n’est pas un hasard. Car ici, le temps est instrumentalisé. Chaque jour qui passe sans gouvernement est un jour de plus gagné pour sanctuariser un pouvoir exécutif libéré des regards, des questions, des contrepoids. Gouverner sans opposition, négocier sans partenaires, décider seul.

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Un Etat sans visages

Il faut l’entendre, ce que nous dit cette mise en scène du vide : l’État continue, mais sans visages. Les anciens ministres errent, suspendus entre deux mondes, réduits à expédier les affaires courantes tout en étant priés de se taire. Ils n’ont reçu ni appel, ni directive. Lecornu les ignore, au nom d’un prétendu « renouveau ». Mais derrière cette épure, ce que l’on construit, c’est un gouvernement d’initiés, réduit, fermé, cimenté par des fidélités plus que par des idées.

Ce qui se joue, ici, c’est la poursuite d’un effacement du politique, sous couvert d’expertise et de rationalité. Un exécutif resserré, peut-être — mais surtout recentré. Sur qui ? Sur quoi ? Pas sur le suffrage populaire, car nul débat, nulle déclaration de politique générale ne semble prévue. Pas sur la pluralité du pays, puisque les compromis se négocient dans des salons fermés, entre les murs de Matignon.

Le Parti socialiste, lui, reste dehors. Il refuse de servir de caution à une machine qui, déjà, prend le visage d’un attelage libéral sécuritaire, où les ministres pressentis doivent plaire à la droite et rassurer le capital. L’aide médicale d’État, instrument de solidarité vitale, est mise sur la table comme monnaie d’échange. Le signal est limpide : on parle budget et immigration, pas services publics et justice sociale. On rouvre les dossiers que la droite fantasme depuis des décennies. La chasse aux migrants devient, insidieusement, le prix d’un accord de gouvernance.

Gouverner dans l’ombre

Dans cet entre-deux, un seul homme parle, depuis New York : Emmanuel Macron. Il appelle à la bienveillance, à l’intelligence partagée. Mais il sait, lui, que ce discours creux est le parfait camouflage de son projet : maintenir le contrôle, confier les rênes à un fidèle, et retarder, encore et toujours, le moment du bilan.

Sébastien Lecornu ne cherche pas une majorité, il cherche une mécanique. Il ne veut pas d’un gouvernement politique, mais d’un gouvernement d’exécution. Ce n’est plus l’État qui gouverne, c’est une cellule.

Et pendant que le peuple attend, pendant que la représentation parlementaire est reléguée au rôle d’ornement, la Ve République poursuit sa mue : d’un régime présidentiel, elle devient un régime post-démocratique. Le pouvoir est toujours là, mais il n’a plus besoin d’être vu. Il agit, tapi, à l’abri de ses propres silences.

Voilà pourquoi il faut écrire. Rappeler que la démocratie n’est pas un luxe ou un accessoire. Qu’elle commence par des mots, des visages, des responsabilités assumées devant le peuple. Tant que Lecornu se tait, il gouverne sans nous.



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