Résumé Résumé
Le 10 septembre 2025, Charlie Kirk, fondateur de l’organisation Turning Point USA, est assassiné dans le Tennessee. En moins de 24 heures, les hommages affluent des figures de la droite américaine, mais aussi, de l’extrême droite française. Neuf jours plus tard, à Paris, une veillée rassemblant environ 250 personnes est organisée à Paris. À la tribune, des jeunes militants identitaires, des anciens de Reconquête, des sympathisants du Rassemblement national. Tous saluent un modèle : celui d’un jeune activiste conservateur qui a su allier communication virale, structuration militante et influence électorale.
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Cette admiration soulève une question que certains à droite ne posent plus au conditionnel : et si la « Droite conservatrice » avait besoin de son propre Charlie Kirk ?
Charlie Kirk, prototype d’un nouveau conservatisme
Pour comprendre l’intérêt qu’il suscite, il faut revenir sur ce que Charlie Kirk représentait. Né en 1993 dans une banlieue aisée de l’Illinois, il quitte l’université à 18 ans pour fonder Turning Point USA, une organisation qui deviendra l’un des moteurs du conservatisme générationnel américain. En treize ans, TPUSA s’implante sur plus de 3 500 campus, emploie des centaines de salariés et revendique plus de 250 000 jeunes membres.
Son approche mêle marketing digital, formation militante intensive, et création de contenus viraux — comme les vidéos “Prove Me Wrong” ou les séries parodiques sur le capitalisme. L’organisation bénéficie du soutien massif de donateurs conservateurs comme Bernard Marcus ou Foster Friess, permettant des levées de fonds dépassant les 100 millions de dollars. Kirk défend un “nationalisme civique” axé sur la famille, la nation et l’économie de marché, mais dans une forme adaptée aux codes culturels de la génération Z.
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Son rôle lors de la campagne présidentielle de 2024, où TPUSA a mobilisé des millions de jeunes pour le vote anticipé en faveur des Républicains, a confirmé son statut de stratège politique de premier plan.
Un modèle difficilement transposable dans le contexte français
La tentation de copier ce modèle se heurte toutefois à des réalités bien différentes. En France, les universités sont beaucoup moins ouvertes aux débats contradictoires que leurs homologues américaines. La culture syndicale y reste dominante, et l’organisation de débats politiques sur les campus relève souvent du parcours d’obstacles.
À cela s’ajoute un droit de la liberté d’expression nettement plus contraignant. Là où Kirk pouvait, aux États-Unis, défendre sans sanction des propos polarisants sur l’immigration ou les droits civiques, de telles déclarations tomberaient en France sous le coup des lois contre la provocation à la haine ou à la discrimination. Les figures françaises qui s’inspirent de ses méthodes doivent donc adapter en permanence leur rhétorique.
Enfin, le financement privé massif d’organisations militantes comme TPUSA n’a pas d’équivalent dans un pays où le mécénat politique reste marginal. Les rares structures conservatrices qui tentent de se structurer, comme l’ISSEP de Marion Maréchal, fonctionnent à une échelle infiniment plus modeste.
Stanislas Rigault
S’il fallait identifier un acteur français qui s’approche le plus du parcours de Charlie Kirk, Stanislas Rigault serait probablement le premier cité. Né en 1999, il abandonne ses études à 22 ans pour fonder Génération Zemmour, le mouvement jeune de soutien à Éric Zemmour. Il revendique rapidement plus de 20 000 militants et développe une stratégie numérique offensive, fondée sur Telegram, Instagram et une réactivité constante à l’actualité.
Rigault maîtrise les codes médiatiques, multiplie les apparitions télévisées, et impose une image de porte-parole d’une jeunesse conservatrice décomplexée. Sa prestation remarquée lors de l’émission “Face à Baba” en 2021, face à Alexis Corbière, l’impose comme une figure montante.
Mais sa trajectoire connaît rapidement des limites. En 2024, il quitte Reconquête et laisse la présidence de son mouvement. Derrière la vitrine numérique, Génération Zemmour peine à se structurer durablement. Faute de financements solides et d’ancrage institutionnel, le mouvement reste fragile, et Rigault apparaît davantage comme un communicant que comme un bâtisseur.
Pierre-Romain Thionnet
Moins visible, Pierre-Romain Thionnet incarne une autre approche. Né en 1994, ancien étudiant en histoire militaire, il débute son engagement politique au sein de la Cocarde étudiante, qu’il contribue à radicaliser. Il y impose une orientation identitaire assumée, défendant la théorie du « grand remplacement » et se référant à des auteurs comme Dominique Venner ou Guillaume Faye.
Son influence s’étend ensuite au sein du Rassemblement national. Il devient l’un des proches conseillers de Jordan Bardella, puis directeur de la jeunesse du parti. En 2024, il est élu député européen, siégeant à la commission des affaires étrangères.
Thionnet incarne une nouvelle génération de cadres stratèges, plus discrets que Rigault, mais dotés d’une influence réelle sur les orientations idéologiques du RN. Son concept de “crépolisation”, développé après les émeutes de Crépol, illustre sa capacité à formuler des notions politiques résonnantes.
Mais sa méthode tranche avec celle de Kirk. Peu présent sur les réseaux sociaux, il privilégie les réseaux institutionnels à la confrontation publique. Ce choix le rend plus influent au sein du parti, mais moins identifiable comme figure de jeunesse.
Marion Maréchal
Si Rigault représente l’activisme de terrain et Thionnet la stratégie d’appareil, Marion Maréchal incarne un troisième pôle : celui de la formation. Fondatrice de l’ISSEP à Lyon en 2018, elle entend créer une école politique capable de structurer les futurs cadres du conservatisme français.
L’ISSEP, qui revendique aujourd’hui une assise financière solide (près d’un million d’euros de chiffre d’affaires en 2023), fonctionne comme un incubateur d’idées et de réseaux. En 2024, elle fonde son propre parti, Identité-Libertés, tentant ainsi de relier formation intellectuelle et action politique.
Maréchal n’est pas une figure de la même génération que Kirk, mais son rôle de mentore est déterminant dans la structuration d’un écosystème conservateur capable, un jour, de faire émerger un profil comparable.
Une dynamique portée par les réseaux, pas les partis
Là où les partis peinent à structurer une jeunesse conservatrice cohérente, c’est l’écosystème numérique qui a pris le relais. Sur Instagram, TikTok ou YouTube, une “fachosphère” culturelle s’est développée : Papacito, Valek, Baptiste Marchais, Thaïs d’Escufon, Julien Rochedy…
Leurs vidéos, souvent provocatrices, touchent un public jeune et majoritairement masculin. Ils adaptent les formats de la culture web : humour, références à la pop culture, esthétisation de la virilité. Leurs publications génèrent un engagement élevé et orientent, souvent de manière indirecte, les comportements électoraux.
Selon une étude de l’INA de 2023, 42 % des 18-24 ans ayant consommé ces contenus votent pour l’extrême droite. Ce phénomène rapproche le modèle français de celui de Kirk, qui a bâti sa force sur la viralité. Mais ici encore, l’absence d’ancrage politique et de structuration militante limite leur impact.
La cible est claire : les jeunes hommes
Ce n’est pas un hasard si la fachosphère s’adresse prioritairement aux jeunes hommes. La polarisation politique genrée s’est accentuée en France : les jeunes femmes restent majoritairement à gauche, les jeunes hommes s’orientent de plus en plus vers la droite radicale.
Cette fracture s’appuie sur des ressentis profonds : sentiment de déclassement, critique du féminisme, rejet du “wokisme”. Ces affects sont au cœur du discours conservateur viral, et constituent le terrain d’expression privilégié pour un éventuel “Charlie Kirk français”.
Jordan Bardella l’a bien compris. Lors des élections européennes de 2024, il a adapté sa communication aux codes des influenceurs, construisant une relation de proximité parasociale avec l’électorat jeune. Ses résultats dans cette tranche d’âge, notamment chez les hommes, en témoignent.
Une veillée parisienne comme signal faible
Le 19 septembre 2025, une veillée en hommage à Charlie Kirk a lieu à Paris. Organisée par Nicolas Conquer, elle reproduit les codes des cérémonies américaines, entre recueillement religieux et discours politique. Le slogan “Je suis Charlie”, détourné pour l’occasion, orne plusieurs banderoles.
Ce moment, passé relativement inaperçu médiatiquement, marque pourtant un tournant. L’événement fédère diverses familles de la droite radicale autour d’un symbole commun. Et surtout, il donne lieu à un appel explicite à la création d’un “Turning Point France”. Le message est clair : certains aspirent à transposer, malgré tout, le modèle Kirk.
Une figure possible, mais pas encore incarnée
Aujourd’hui, il n’y a pas de Charlie Kirk français. Mais il y a des fragments : des figures médiatiques, des têtes pensantes, des incubateurs, des réseaux. Le conservatisme générationnel existe, mais il manque encore d’un leader capable de synthétiser les dimensions médiatique, stratégique, organisationnelle et idéologique.
La mort de Kirk pourrait paradoxalement accélérer ce processus. En devenant une figure martyre, il cristallise un imaginaire auquel les jeunes militants français peuvent se raccrocher. Le “modèle Kirk” devient une icône à imiter, même partiellement. Mais le conservatisme français ne pourra pas importer tel quel les méthodes américaines. Il lui faudra produire ses propres codes, ses propres structures, et sa propre incarnation.