Résumé Résumé
Brigitte et Emmanuel Macron poursuivent en justice la podcasteuse américaine Candace Owens, accusée d’avoir relayé et amplifié une rumeur affirmant que la Première dame serait une femme transgenre. La procédure, lancée aux États-Unis, vise à mettre un terme à une campagne de désinformation virale.
Une rumeur devenue affaire d’État
Derrière cette accusation, une offensive orchestrée : vidéos monétisées, relais complotistes, réseaux d’extrême droite internationaux. Pour y répondre, le couple Macron déploie une stratégie judiciaire d’ampleur, fondée sur des preuves médicales, une enquête privée et le soutien d’un cabinet d’avocats spécialisé dans les affaires de diffamation les plus sensibles.
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La rumeur selon laquelle Brigitte Macron serait une femme transgenre circule en France depuis 2017, relayée notamment par des comptes X (ex-Twitter) souvent proches des sphères complotistes. Longtemps cantonnée aux marges du web, elle a pris une ampleur nouvelle début 2025 lorsque Candace Owens, figure de l’extrême droite américaine, a lancé une série de vidéos intitulée Becoming Brigitte. Présentée comme un documentaire, la série combine des allégations relatives à l’identité de genre de Brigitte Macron, à des insinuations sur sa relation avec Emmanuel Macron, et à des références aux théories complotistes et aux réseaux d’influence.
Face à la diffusion massive de ces contenus — plusieurs millions de vues cumulées sur YouTube — le couple présidentiel français a décidé d’engager une procédure en diffamation aux États-Unis. L’objectif affiché : démonter juridiquement, de manière exhaustive, les allégations propagées par Owens et ses relais.
Une campagne numérique monétisée
La série Becoming Brigitte n’est pas un simple contenu militant. Elle constitue une opération de désinformation structurée et rentable. Candace Owens, qui compte près de 4 millions d’abonnés sur YouTube, a monétisé son offensive à plusieurs niveaux : sponsoring de vidéos, produits dérivés reprenant l’image de Brigitte Macron, promotion d’un livre complotiste intitulé Devenir Brigitte, signé Xavier Poussard.
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Le récit mis en avant repose sur une narration pseudo-enquête, mêlant archives retravaillées, analyses faussées et accusations graves. L’auteur français Xavier Poussard, installé en Italie, y tient une place centrale. Il est l’un des premiers à avoir formalisé cette théorie dans sa revue Faits & Documents en 2021, avant de publier un ouvrage à succès relayé par Owens. La mécanique repose sur l’amplification algorithmique des contenus, l’ambiguïté entre satire et affirmation, et la captation de revenus via des plateformes comme Amazon et YouTube.
Un procès lancé aux États-Unis pour contourner le droit français
Le couple Macron a choisi de porter plainte devant la Superior Court du Delaware. Le dossier, épais de 218 pages, comprend 22 chefs d’accusation, dont 13 pour diffamation et 9 pour « false light invasion of privacy » — une notion spécifique du droit américain, qui protège contre l’exposition publique dans un cadre mensonger et offensant.
Cette stratégie procédurale vise à contourner les limites du droit français en matière de diffamation publique et à inscrire l’affaire dans un cadre juridique plus offensif. Le cabinet choisi, Clare Locke LLP, est reconnu pour sa spécialisation en diffamation de haut niveau. Tom Clare, avocat principal dans le dossier, a notamment représenté Dominion Voting Systems contre Fox News dans l’un des plus grands règlements de l’histoire américaine (787,5 millions de dollars).
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Pour répondre aux accusations, les plaignants entendent produire des éléments qualifiés de « scientifiques » par leur avocat : dossiers médicaux, analyses hormonales et chromosomiques, échographies de grossesse, et témoignages d’experts. Le but : démontrer sans équivoque que Brigitte Macron est une femme cisgenre et que les affirmations diffusées par Owens sont fausses, diffamatoires et intentionnelles.
Une contre-enquête privée
En parallèle de l’action judiciaire, les Macron ont mandaté le cabinet Nardello & Co, spécialisé dans l’investigation privée. Dirigé par l’ancien procureur fédéral Dan Nardello, le cabinet a mené une enquête de plusieurs centaines de milliers de dollars pour établir les connexions idéologiques et logistiques derrière la campagne menée par Candace Owens.
Les enquêteurs ont mis en évidence les relations entre Owens et plusieurs figures de l’extrême droite française, américaine et britannique, ainsi que ses échanges avec Alexandre Douguine, idéologue russe proche du Kremlin. Ces éléments ont contribué à requalifier l’affaire : d’une rumeur personnelle, elle devient un cas d’étude de la désinformation transnationale et de son instrumentalisation géopolitique.
Des procédures en France
En France, plusieurs procédures judiciaires sont également en cours. Deux femmes, Natacha Rey et Amandine Roy, qui avaient largement diffusé la rumeur, ont été relaxées en appel en juillet 2025, après avoir été condamnées en première instance. La cour d’appel a estimé que l’imputation d’une transition de genre ne constituait pas, en soi, une diffamation.
Ce jugement a provoqué une onde de choc et renforcé la détermination du couple Macron, qui s’est pourvu en cassation. Parallèlement, Brigitte Macron a déposé fin août une plainte pour cyberharcèlement visant plusieurs personnes, dont Xavier Poussard et le publicitaire Aurélien Poirson-Atlan. L’affaire sera examinée en octobre par le tribunal correctionnel de Paris.
Sur le plan politique, une polémique a émergé autour du financement de la procédure américaine. Une pétition lancée par Florian Philippot exige que l’Élysée précise si les frais d’avocats, estimés entre 2 et 5 millions de dollars, sont assumés sur fonds personnels ou publics. Le patrimoine déclaré du couple Macron à la HATVP, jugé modeste au regard des montants engagés, alimente les interrogations.
Une affaire symbole des dérives de l’espace numérique
L’affaire pourrait faire date. En choisissant de porter la bataille devant la justice américaine, les plaignants posent une question centrale : jusqu’où la liberté d’expression s’étend-elle lorsqu’elle se heurte délibérément à la réalité factuelle ? En cas de victoire, la procédure pourrait créer un précédent utile à d’autres figures publiques confrontées à des campagnes de désinformation mondialisée.
Elle soulève également la question de la responsabilité des plateformes numériques. Malgré des signalements répétés, YouTube et Amazon ont continué de diffuser et monétiser les contenus litigieux. Le vide juridique sur la modération de la désinformation, particulièrement lorsqu’elle est transfrontalière, est ici mis en lumière.
Pour le couple Macron, il ne s’agit pas seulement de défendre une réputation ou de restaurer une vérité. Il s’agit de tenter, par le droit, de reprendre le contrôle d’un récit capturé et déformé par des logiques qui dépassent la sphère personnelle. Ce combat, s’il est gagné, pourrait redessiner les contours de la lutte contre la désinformation à l’échelle mondiale.