Résumé Résumé
Delphine Ernotte n’y est pas allée par quatre chemins. Le 18 septembre, dans un entretien au Monde, la présidente de France Télévisions désigne CNews comme une « chaîne d’extrême droite ». Une première dans l’histoire récente de l’audiovisuel public. Ce coup de semonce intervient alors que l’affaire Legrand-Cohen secoue le service public, et que les tensions avec les médias du groupe Bolloré atteignent un point de non-retour.
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Elle assume. « CNews est un média d’opinion. Qu’ils assument d’être une chaîne d’extrême droite ! » lance-t-elle. Une accusation directe, inhabituelle dans le ton comme dans le fond. Elle vise une ligne éditoriale désormais assumée, où les figures de droite radicale occupent le terrain en continu. Zemmour hier, Bigot et Messiha aujourd’hui, Villiers en prime time. Selon Sleeping Giants France, leur exposition s’est même accrue ces dernières années.
Ligne éditoriale de CNews : un virage assumé vers l’opinion
La séquence suit l’affaire Legrand-Cohen. Le 5 septembre, une vidéo diffusée par L’Incorrect montre les deux journalistes de France Inter tenant des propos favorables à Rachida Dati lors d’un déjeuner privé. Legrand est suspendu, Cohen blanchi. Mais la machine s’emballe. L’affaire devient prétexte à une offensive médiatique contre les radios et télés publiques, accusées de partialité. La présidente de France Télévisions y voit un piège grossier.
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Le fond du dossier est ailleurs. Depuis 2017, la relance de CNews sous la houlette de Vincent Bolloré a profondément transformé le paysage audiovisuel. Issue d’iTélé, la chaîne a basculé vers une logique de débat permanent, souvent clivant. Le pluralisme, garanti par la loi, est régulièrement mis en cause. En juillet, l’Arcom a mis en garde la chaîne pour « traitement univoque » de plusieurs sujets. En février 2024, le Conseil d’État a sommé le régulateur d’être plus strict.
CNews cartonne. En août, elle devance BFMTV pour la première fois avec 3,2 % de part d’audience. Ses émissions attirent une audience fidèle, largement marquée à droite. Une étude de 2022 situe ses téléspectateurs réguliers autour de 7 sur une échelle politique de 0 à 10. Une autre, de juin 2025, note que 35 % des invités politiques sur les médias du groupe Bolloré relèvent de l’extrême droite. Le glissement est quantifiable.
Le régulateur face aux limites du pluralisme audiovisuel
La réaction de CNews est immédiate. Pascal Praud parle de « déclaration de guerre », accuse Ernotte de mettre en danger ses journalistes. La droite politique se range derrière la chaîne. Wauquiez dénonce une « police de la pensée », le RN réclame la privatisation de France Télévisions. La ligne de fracture est claire.
Derrière la polémique, un affrontement structurel. Bolloré mène un projet assumé de conquête idéologique. De CNews au Journal du Dimanche, son empire médiatique s’est aligné sur une ligne conservatrice, identitaire, parfois réactionnaire. Des dizaines de journalistes ont quitté leurs postes, souvent contraints au silence.
Delphine Ernotte a pris un risque
Ernotte ne veut plus se taire. Avec Sibyle Veil, présidente de Radio France, elle alerte l’Arcom par courrier commun. Le lendemain, elle enfonce le clou dans Le Monde, parlant d’une campagne systématique de dénigrement, d’une attaque contre l’audiovisuel public, et d’un climat de « violence verbale de nature presque politique ».
L’enjeu dépasse le bras de fer. À 18 mois de l’élection présidentielle, ce choc institutionnel met à nu les lignes de fracture du débat public. La question du pluralisme n’est plus seulement réglementaire. Elle devient politique. Et symbolique. En rompant avec la réserve habituelle du service public, Delphine Ernotte a pris un risque. Mais elle a aussi fixé une ligne rouge.