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Dans l’affaire Jubillar, la justice accuse, la défense alerte, et le public s’interroge. Cinq ans après la disparition de Delphine Jubillar, une infirmière de 33 ans mère de deux enfants, son mari Cédric comparaît à partir du 22 septembre devant la cour d’assises du Tarn pour homicide volontaire. Aucun corps, aucune arme, aucune preuve matérielle : le dossier repose sur un faisceau d’indices, de témoignages et de comportements. À l’ouverture d’un procès hors norme, une question dérange : Cédric Jubillar est-il le meurtrier de son épouse ou simplement l’homme que tout désigne, par défaut ?
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Une disparition dans un contexte conjugal explosif
Le 15 décembre 2020, Delphine Jubillar disparaît de son domicile de Cagnac-les-Mines, une commune tarnaise paisible en apparence. Cette nuit-là, elle ne laisse aucun message, aucun appel, aucun signal. Son téléphone cesse d’émettre à proximité du domicile conjugal. Cédric Jubillar, son mari, signale sa disparition le lendemain matin.
Le couple est en instance de divorce. Delphine, engagée dans une relation avec un autre homme, prépare son départ. Elle veut couper l’accès à ses comptes bancaires, que son mari ponctionne. Lui ne l’accepte pas. Précaire, instable, dépendant au cannabis et aux jeux en ligne, Cédric refuse l’éclatement du noyau familial.
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Cédric Jubillar, un profil qui dérange
Le peintre-plaquiste aujourd’hui âgé de 38 ans n’a jamais avoué. Depuis son placement en détention provisoire en juin 2021, il nie les faits. Pourtant, dès le début de l’enquête, les regards convergent vers lui. Ses déclarations sont jugées contradictoires. Il tient des propos inquiétants avant la disparition : « Je vais la tuer, je vais l’enterrer, personne ne la retrouvera. » Des proches témoignent de sa jalousie, de sa colère.
Sa personnalité interroge. Ses détracteurs parlent d’un homme manipulateur, impulsif, distant. Après la disparition de sa femme, il paraît détaché, peu concerné par les recherches. Son comportement, plus que des preuves, nourrit l’accusation. Aux yeux de certains, cela suffit à en faire un coupable probable. Pour d’autres, cela en fait surtout un coupable désigné.
Un dossier d’accusation fondé sur des indices
L’accusation s’appuie sur une série d’éléments circonstanciels. D’abord, une paire de lunettes, la seule que portait Delphine, retrouvée cassée en plusieurs morceaux. Une expertise évoque un choc compatible avec un coup de poing. L’ADN de Cédric y est présent.
Le soir de la disparition, leur fils Louis, alors âgé de six ans, dit avoir entendu ses parents se disputer. Il évoque une scène de bousculade devant le sapin de Noël. Il est l’un des derniers à avoir vu sa mère vivante.
Deux voisines, à 150 mètres du domicile, déclarent avoir entendu des cris de femme vers 23 heures. L’une parle de hurlements de peur, entrecoupés d’aboiements. La voiture de Delphine, garée habituellement en montée, est retrouvée en descente, avec de la condensation à l’intérieur. Une expertise indique une présence humaine possible durant la nuit.
Enfin, plusieurs confidences prêtées à Cédric en détention renforcent les soupçons : un codétenu, deux ex-compagnes, et sa dernière petite amie affirment qu’il aurait avoué le meurtre, en livrant à chaque fois des versions différentes.
Une défense qui dénonce une enquête à charge
Face à ces éléments, la défense dénonce un dossier vide. Aucun corps, aucune arme, pas de sang, pas de scène de crime. « Ce qui est le plus bancal, c’est l’absence de preuves », martèle Me Alexandre Martin, avocat de Cédric Jubillar. Pour lui, l’instruction a ciblé son client dès les premiers jours, écartant trop rapidement d’autres hypothèses.
L’avocat critique une enquête menée à sens unique : « Des portes ont été entrouvertes, elles ont été refermées sans investigations. » Il évoque un homme devenu suspect davantage par sa personnalité que par les faits. La ligne de défense est claire : l’accusation repose sur une construction narrative, pas sur des éléments tangibles.
Un procès sous tension médiatique
L’affaire Jubillar ne se joue pas seulement dans les prétoires. Elle occupe l’espace médiatique depuis bientôt cinq ans. Le palais de justice d’Albi a été spécialement aménagé pour accueillir plus de 300 journalistes de 80 médias. Rarement une affaire criminelle a suscité une telle couverture en l’absence de preuve directe.
Le procureur général de Toulouse, Nicolas Jacquet, le reconnaît lui-même : « La particularité de ce dossier ne réside pas dans les faits ou l’absence de corps, mais bien dans son exceptionnelle médiatisation. » Cette exposition soulève une autre question : l’image publique de Cédric Jubillar a-t-elle influencé la perception de sa culpabilité, voire l’orientation de l’enquête ?
Des témoignages cruciaux, mais contestés
Parmi les éléments clés du procès figurent des témoignages à forte charge. Celui du fils, d’abord, dont la parole sera lue mais pas répétée devant la cour. Il dit avoir vu ses parents se disputer, entendu son père menacer de se séparer.
Deux voisines parlent de cris de terreur. Une amie du couple évoque des propos menaçants tenus par Cédric. Trois témoins affirment avoir reçu des aveux en détention ou dans l’intimité : un codétenu, une ex-compagne et sa dernière petite amie. Chacun livre une version différente du meurtre présumé et de la dissimulation du corps.
La défense rejette ces récits, pointant leur manque de cohérence, l’absence de vérifications et les intérêts potentiels de certains témoins à collaborer avec les enquêteurs.
Un procès à la recherche d’une vérité morcelée
L’instruction judiciaire a produit un dossier de 27 tomes, soit plus de 15 000 pages. 65 témoins et 11 experts défileront à la barre pendant les quatre semaines d’audience. Le procès s’annonce complexe, entre émotions familiales, récit judiciaire et pression médiatique.
La cour d’assises devra trancher entre des indices convergents, mais aucun élément décisif. Le doute persiste : Cédric Jubillar est-il jugé pour ce qu’il a fait ou pour ce qu’il est supposé être ? Sa personnalité trouble, ses propos menaçants, ses contradictions suffisent-ils à fonder une condamnation ?
Le verdict est attendu pour le 17 octobre.