Dominique Desseigne, le prince déchu du luxe français

Dominique Desseigne, ancien PDG du groupe Barrière, a connu une ascension fulgurante avant d’être écarté par ses enfants dans un conflit familial brutal.

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Figure incontournable du capitalisme familial français, Dominique Desseigne a incarné, pendant plus de deux décennies, le visage d’un empire du luxe construit sur les ruines d’un drame personnel. À la tête du groupe Barrière, il a su transformer une entreprise patrimoniale en leader européen du divertissement. Mais son parcours est aussi celui d’un homme dont l’ascension s’est achevée dans une chute intime et familiale brutale. Aujourd’hui écarté du pouvoir par ses propres enfants, Dominique Desseigne incarne les paradoxes d’un modèle en fin de cycle. Récit d’une trajectoire hors norme, entre ambition, pouvoir et solitude.

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Une ambition née loin de Paris

Dominique Desseigne naît en 1944 à Commercy, dans une famille bourgeoise lorraine. Son père est médecin, sa mère femme au foyer. Très tôt, il manifeste une volonté farouche de s’extirper de son milieu provincial. Après son baccalauréat, il part pour Paris et s’inscrit à l’université Panthéon-Sorbonne, où il décroche une maîtrise de droit. Il complète son parcours par un diplôme supérieur de notariat.

Ce choix de spécialisation révèle déjà une stratégie précise : comprendre les mécanismes juridiques et patrimoniaux au cœur de la richesse française. À 21 ans, il entre comme stagiaire dans une étude notariale parisienne. Pendant quinze ans, il apprend les rouages des fortunes familiales dans ce qu’il qualifiera plus tard de « monde à la Balzac », fait de pouvoir discret et de secrets bien gardés.

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L’union avec Diane Barrière, tournant décisif

En 1980, sa trajectoire bascule lors d’une soirée à la boîte de nuit de Régine. Il y rencontre Diane Barrière, héritière du groupe éponyme, qu’il épouse quatre ans plus tard. Ce mariage marque son entrée dans l’un des plus grands empires du divertissement français, fondé par François André Barrière au début du XXe siècle.

Ce n’est pas seulement une union personnelle, mais une alliance sociale et économique. Homme de réseaux et de séduction, Dominique Desseigne se positionne rapidement comme un partenaire actif dans l’écosystème familial. Il quitte l’univers du notariat pour se consacrer progressivement aux affaires, à mesure que son influence grandit.

Le 16 juillet 1995, Diane Barrière est victime d’un accident d’avion. Elle en réchappe, mais est grièvement blessée : brûlures, tétraplégie, amputation des mains. Dominique Desseigne, confronté à cette tragédie, quitte définitivement son métier de notaire pour co-diriger le groupe. Il assure la transition en tandem avec son épouse, désormais lourdement handicapée. En 2001, après le décès de Diane, il devient président-directeur général unique. Ce passage de témoin, douloureux, lui offre les pleins pouvoirs. Il hérite d’un groupe solide, mais encore traditionnel. L’ancien notaire va en faire un acteur majeur du luxe européen.

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Barrière sous l’ère Desseigne : diversification et croissance

Dès sa prise de fonction, Dominique Desseigne engage une transformation profonde. Il rachète en 1998 le Fouquet’s, symbole d’un virage stratégique vers la restauration haut de gamme. Il investit dans la modernisation des établissements historiques, notamment à Deauville et Cannes, et développe une politique d’expansion internationale, avec des ouvertures au Maroc et en Suisse.

En 2004, il fait entrer Accor dans le capital pour accompagner cette croissance. Les résultats suivent : en 2007, le chiffre d’affaires du groupe franchit le seuil symbolique du milliard d’euros. Barrière devient la première entreprise française de casinos, avec un positionnement résolument haut de gamme.

Premiers revers : vie privée exposée, réputation écornée

Mais à mesure que son pouvoir grandit, les tensions personnelles et les controverses publiques commencent à fragiliser sa position. En 2009, il est publiquement impliqué dans une affaire de paternité avec Rachida Dati, ancienne garde des Sceaux. Il refuse le test ADN ordonné par la justice, qui le reconnaît finalement comme le père de la petite Zohra. L’affaire, très médiatisée, détériore son image.

En 2014, Dominique Desseigne est condamné à deux ans de prison avec sursis et un million d’euros d’amende pour fraude fiscale. Ces révélations, cumulées à une gestion autoritaire, alimentent les critiques internes, notamment de la part de ses propres enfants, Alexandre et Joy, qui travaillent alors dans le groupe.

L’échec d’une transmission familiale

Après la mort de leur mère, Alexandre et Joy grandissent dans un environnement marqué par l’absence paternelle. Leur père, souvent en déplacement ou engagé dans des liaisons mondaines, se montre distant. Alexandre rejoint le groupe familial en 2014, mais les tensions avec son père s’intensifient. Dominique Desseigne le critique publiquement, doutant de sa capacité à diriger.

Les relations se détériorent au fil des années. En 2022, Alexandre assigne son père en justice, l’accusant d’irrégularités dans la succession de sa mère. Joy rejoint son frère dans ce combat. Le 30 juin 2022, une réunion du conseil d’administration marque un point de rupture définitif. Nicolas Sarkozy, proche de Desseigne, tente de réconcilier la famille. En vain.

Un accord humiliant et la perte du pouvoir

Sous pression, Dominique Desseigne accepte un accord à l’amiable. Il renonce à ses fonctions exécutives, transmet la Villa Montmorency à ses enfants et cède le contrôle de l’entreprise. Il conserve un droit d’usage sur son bureau, une suite dans les hôtels du groupe, et des avantages limités, mais perd la main sur la gouvernance.

Symboliquement, Alexandre retire le nom Desseigne de son état civil et devient officiellement Alexandre Barrière. En avril 2023, avec sa sœur Joy, il prend les rênes du groupe. L’entreprise redevient entièrement familiale après le rachat des parts de Fimalac.

Dominique Desseigne vit aujourd’hui en retrait, affaibli par la maladie. À 81 ans, il demeure l’un des hommes les plus riches de France, mais est isolé de sa famille. Écarté par ses enfants, confronté aux conséquences de ses décisions passées, il regarde de loin l’évolution du groupe qu’il a fait prospérer. Sa confession à un proche — « Nous n’avons jamais été une famille » — résonne comme un aveu. Le stratège, autrefois omnipotent, semble avoir sous-estimé les dimensions humaines du pouvoir. L’absence de lien, la rigidité du modèle patriarcal, et la violence symbolique de la succession ont précipité sa chute.



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