LVMH : Armani, le dernier grand défi de Bernard Arnault

LVMH face à Essilor et L’Oréal pour s’emparer d’Armani : une lutte au sommet du luxe européen.

Résumé Résumé

La mort de Giorgio Armani, le 4 septembre 2025, ouvre une séquence inédite dans l’histoire du luxe mondial. Le couturier italien, farouche défenseur de l’indépendance de sa maison pendant cinq décennies, a organisé une succession qui pourrait conduire à la cession de son empire. L’ouverture de son testament, le 11 septembre, désigne trois groupes comme acquéreurs prioritaires : L’Oréal et EssilorLuxottica et LVMH. Pour ce dernier, cette perspective dépasse la simple logique de croissance externe. Elle répond à des impératifs stratégiques majeurs, à un moment où son modèle montre des signes d’essoufflement.

A LIRE AUSSI
Pourquoi la famille Arnault rachète massivement des actions LVMH

Un testament qui encadre la cession d’Armani

Rédigé au printemps 2025, le testament de Giorgio Armani confie à la Fondazione Giorgio Armani une mission précise : céder 15 % du capital de l’entreprise dans un délai de 12 à 18 mois à l’un des trois groupes cités. Cette première tranche ouvrirait la voie à une montée progressive au capital, jusqu’à un maximum de 69,9 % dans un délai de cinq ans. Si aucun accord n’est trouvé, une introduction en Bourse est prévue dans un délai de huit ans.

Le document donne un rôle central à Leo Dell’Orco, compagnon de vie et directeur général de longue date, qui détiendra 40 % des droits de vote. La fondation en conservera 30 %, tandis que Silvana Armani et Andrea Camerana, neveu et nièce du créateur, disposeront chacun de 15 %. L’ensemble des décisions majeures restera soumis au droit de veto de la fondation, notamment en matière de gouvernance, de structure du capital ou de cession d’actifs.

Bernard Arnault a rapidement salué cette décision. Le PDG de LVMH s’est dit « honoré » de figurer parmi les candidats, évoquant Armani comme « un génie absolu, le seul grand couturier avec Christian Dior à avoir dirigé une maison à la fois sur le plan créatif et industriel ». Pour le groupe, l’enjeu dépasse le prestige : il s’agit d’une opération à haute valeur stratégique.

A LIRE AUSSI
Bernard Arnault ou l’art de dominer sans bruit

Les faiblesses actuelles de LVMH dans la mode masculine

L’intégration potentielle d’Armani intervient alors que LVMH traverse une phase d’ajustement. La division Mode et Maroquinerie, pilier du groupe, a enregistré une baisse de 7 % en données comparables au premier semestre 2025. Sur l’ensemble de 2024, le chiffre d’affaires de cette division avait déjà reculé de 1 %, à 41 milliards d’euros, avec un résultat opérationnel en baisse de 18 %. La marge opérationnelle a chuté de 38,8 % à 34,7 % en un an.

Ce ralentissement coïncide avec une faiblesse structurelle dans la mode masculine haut de gamme. Berluti, seule marque du portefeuille positionnée sur ce segment, connaît des difficultés chroniques. Depuis le départ de Kris Van Assche en 2021, la maison peine à stabiliser sa direction créative. Faute de vision claire, elle a suspendu ses défilés, et ses performances financières restent floues. À l’inverse, Armani dispose d’une notoriété mondiale, d’un ancrage masculin fort, et d’un positionnement intermédiaire entre élégance classique et accessibilité internationale.

L’Italie est stratégique pour LVMH

LVMH multiplie les investissements en Italie. En 2024, le groupe y a injecté 500 millions d’euros, renforçant son réseau de production et sa présence commerciale. Il y contrôle déjà six maisons italiennes – Bulgari, Fendi, Loro Piana, Pucci, Acqua di Parma et Cova – et emploie 18 000 personnes dans la péninsule. Mais malgré cette implantation, il lui manque un véritable fleuron du prêt-à-porter et de la mode masculine pour rivaliser avec les acteurs nationaux majeurs.

A LIRE AUSSI
LVMH, Kering : le luxe français au bord du gouffre

L’acquisition d’Armani permettrait de combler ce manque. Elle viendrait renforcer la position de LVMH sur un territoire clé du luxe mondial, à la fois sur le plan industriel, créatif et symbolique. Toni Belloni, président de LVMH Italie, résume ainsi l’enjeu : « L’écosystème italien offre un contexte particulièrement favorable au développement des marques de luxe. »

Une bataille à trois entre LVMH, L’Oréal et EssilorLuxottica

LVMH n’est pas seul à convoiter Armani. L’Oréal, partenaire historique de la maison italienne depuis 1988 pour les parfums et cosmétiques, a exprimé un intérêt immédiat. Le groupe détient une licence qui génère plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel. Il a déclaré vouloir « étudier avec une grande considération cette perspective », en soulignant les liens historiques avec le créateur.

EssilorLuxottica figure également parmi les prétendants désignés. Depuis 1988, le groupe fabrique les lunettes Armani. Le partenariat a été renouvelé jusqu’en 2038. Son PDG, Francesco Milleri, entretient une relation ancienne avec Armani, héritée de Leonardo Del Vecchio. Le couturier détenait environ 2 % du capital d’EssilorLuxottica, un signe de proximité rare dans le secteur. Bien que coté à Paris, le groupe est perçu en Italie comme un acteur national, ce qui pourrait jouer en sa faveur.

Un rachat qui pourrait faire basculer l’équilibre du luxe mondial

La valorisation d’Armani est estimée entre 8 et 10 milliards d’euros. En 2024, le groupe a enregistré un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros, en baisse de 6 %, et un EBITDA en recul de 24 %, à 398 millions d’euros. Malgré ces résultats, Armani a maintenu un niveau d’investissement élevé : 332 millions d’euros en 2024, soit le double de l’année précédente, notamment pour la rénovation de ses flagships à Milan, New York et Paris, et l’internalisation de son e-commerce.

Ces chiffres traduisent une stratégie de transformation profonde. Pour LVMH, l’opération est accessible. Le groupe dispose d’un cash-flow disponible estimé à 4 milliards d’euros. L’intégration d’Armani permettrait d’activer des synergies immédiates : mutualisation des réseaux de distribution, optimisation industrielle, accélération du segment lifestyle – hôtelier, ameublement, restauration –, où Armani est pionnier et où LVMH cherche encore sa voie.

Des résistances italiennes à l’idée d’un rachat étranger

L’hypothèse d’un rachat par un groupe étranger suscite des réserves en Italie. Giorgia Meloni a rendu hommage à Giorgio Armani comme à une figure nationale. Elle avait prêté serment en 2022 en portant l’un de ses costumes, symbole d’une élégance à l’italienne. À plusieurs reprises, la présidente du Conseil a exprimé son intention de protéger les fleurons industriels du pays.

Cette dimension géopolitique complique la tâche de LVMH. Si EssilorLuxottica devait s’imposer, ce serait en grande partie grâce à sa perception de « champion italien », malgré son statut transfrontalier. Dans ce contexte, la fondation Armani, gardienne de la mémoire du créateur et de l’identité de la marque, jouera un rôle d’arbitre.

L’Asie comme levier stratégique pour LVMH via Armani

L’Asie reste un point faible dans la dynamique actuelle de LVMH. Les ventes du groupe ont reculé de 16 % en Chine au troisième trimestre 2024. Armani, avec son style sobre et sa présence historique dans la région, représenterait un relais de croissance immédiat. Son image moins ostentatoire pourrait séduire une clientèle asiatique en quête de discrétion et de sophistication.

Par ailleurs, Armani a été un pionnier du concept de luxe global, intégrant depuis longtemps les univers de l’hôtellerie, de la décoration, de la restauration. Ce positionnement lifestyle répond aux évolutions des attentes des consommateurs, pour qui le luxe dépasse désormais les catégories traditionnelles.

Une opération cruciale dans un secteur sous pression

Face à la stabilité d’Hermès, qui affiche une marge nette de 33 %, et aux difficultés de Kering, confronté au ralentissement de Gucci, LVMH cherche à consolider sa domination mondiale. L’acquisition d’Armani s’inscrirait dans une logique défensive autant qu’offensive. Elle permettrait de combler plusieurs faiblesses internes, tout en empêchant ses rivaux de s’emparer d’un actif stratégique.



L'Essentiel de l'Éco est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Publier un commentaire