Girondins de Bordeaux : décryptage d’une descente aux enfers

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Les Girondins de Bordeaux, six fois champions de France, jouent désormais en National 2, soit le quatrième échelon du football hexagonal. Quinze ans après leur dernier titre, le club vit l’une des plus grandes faillites sportives et économiques de l’histoire du football français. Retour sur l’effondrement bordelais , entre spéculation financière et mauvaise gouvernance.

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Un palmarès prestigieux, témoin d’une époque révolue

Fondé en 1881, le FC Girondins de Bordeaux s’est imposé comme l’une des institutions majeures du football français. Son palmarès impressionnant en témoigne : six titres de champion de France (1950, 1984, 1985, 1987, 1999, 2009), quatre Coupes de France, trois Coupes de la Ligue et quatre Trophées des champions.

Le club a formé des générations de joueurs devenus emblématiques : Alain Giresse, Zinédine Zidane, Bixente Lizarazu, Christophe Dugarry, Jean Tigana. Le centre de formation du Haillan, ouvert en 1988, a produit plus de 180 joueurs professionnels, dont une trentaine d’internationaux. Pendant plusieurs décennies, Bordeaux a rivalisé avec les plus grands clubs français, incarnant un modèle d’excellence régionale et nationale.

La saison 2008-2009, dernier sommet avant la chute

La saison 2008-2009 marque l’apogée moderne du club. Sous la direction de Laurent Blanc, Bordeaux développe un jeu ambitieux, porté par un système en 4-4-2 en losange articulé autour de Yoann Gourcuff. Arrivé en prêt du Milan AC, le milieu breton devient le symbole du renouveau bordelais avec 12 buts en championnat et un rôle décisif dans les matchs clés.

L’équipe enchaîne onze victoires consécutives en seconde partie de saison, s’adjuge le titre de champion de France, la Coupe de la Ligue et le Trophée des champions. Avec un effectif construit pour 35 millions d’euros, bien en deçà des moyens de Lyon à l’époque, Bordeaux incarne une réussite collective. Ce triomphe marquera pourtant le début d’un lent déclin.

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Une désintégration progressive de l’identité sportive (2010-2018)

Dès l’été 2010, la dynamique se brise. Laurent Blanc quitte le club pour prendre en main l’équipe de France. Bordeaux termine sixième la saison suivante malgré un effectif peu remanié. Les cadres vieillissent, Gourcuff peine à confirmer, et les choix tactiques manquent de cohérence.

La masse salariale augmente, sans correspondance avec les résultats. Les recrutements deviennent hasardeux, les entraîneurs se succèdent sans projet à long terme. Jean Tigana, Francis Gillot, Willy Sagnol, Jocelyn Gourvennec ou encore Gustavo Poyet peinent à relancer le collectif. Le club s’installe dans une instabilité chronique qui fragilise ses fondations économiques et sportives.

L’ère des fonds américains : promesses et désillusions (2018-2021)

En novembre 2018, le club passe sous pavillon américain. Le fonds GACP, dirigé par Joseph DaGrosa, rachète le club à M6 pour 100 millions d’euros, avant d’être rapidement supplanté par King Street Capital Management, un autre fonds new-yorkais. En moins d’un an, King Street devient l’actionnaire unique.
La gestion américaine s’avère défaillante. Recrutements incohérents, dépenses excessives, masse salariale hors de contrôle : les dirigeants multiplient les erreurs. Le contrat de Laurent Koscielny, ex-international français, symbolise ces dérives : 350 000 euros bruts mensuels pour un joueur arrivé libre d’Arsenal.

L’impact de la pandémie de Covid-19 et la faillite du diffuseur Mediapro aggravent la situation. En avril 2021, King Street se retire brutalement, laissant un déficit de 55 millions d’euros. Le club est placé sous la protection du tribunal de commerce de Bordeaux.

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Gérard Lopez : une reprise controversée, un nouvel échec (2021-2024)

En juillet 2021, Gérard Lopez, ancien propriétaire du LOSC, reprend le club via sa société Jogo Bonito. Il obtient l’aval de la DNCG grâce à un apport de 7,5 millions d’euros et un prêt de 20 millions négocié avec King Street et Fortress. L’objectif affiché : reconstruire et viser un retour en Coupe d’Europe.

Dès le départ, sa gestion inquiète. À Lille, Lopez avait laissé un club champion, mais lourdement endetté. À Bordeaux, il reproduit les mêmes erreurs : endettement, contrats excessifs, absence de vision sportive.
Des documents révèlent des flux financiers opaques entre le club et ses sociétés personnelles. En 2022, Bordeaux termine dernier de Ligue 1 avec 91 buts encaissés. Les projets de reprise échouent un à un, notamment ceux portés par Oliver Kahn ou Fenway Sports Group. Lopez refuse de céder l’intégralité du capital, bloquant toute solution de sauvetage.

Relégation sportive, faillite institutionnelle

La relégation en Ligue 2 en 2022 marque un point de non-retour. Les performances restent faibles lors des saisons suivantes. En juillet 2024, la DNCG prononce la relégation administrative en National, immédiatement aggravée en National 2 par la Commission fédérale de contrôle des clubs. Fin juillet, le club est placé en redressement judiciaire.
Conséquence directe : résiliation de tous les contrats professionnels, fin du statut pro, fermeture du centre de formation. 86 jeunes joueurs voient leur parcours stoppé net. 85 licenciements sont annoncés par mail, provoquant une onde de choc chez les salariés et les syndicats.

Une dette colossale révélée par la procédure judiciaire

Au moment du redressement, la dette du club s’élève à 94,467 millions d’euros, répartie entre 436 créanciers. Gérard Lopez, via sa société La Dynamie, est le premier créancier avec 41 millions d’euros. La Métropole de Bordeaux réclame 20 millions pour loyers impayés du stade. Les dettes sociales et fiscales atteignent 8,3 millions d’euros.
Parmi les créanciers figurent aussi des prestataires inattendus : boulangerie, vignerons, pharmacie, cabinets d’avocats, clubs partenaires. Cette diversité montre l’ampleur de la crise de trésorerie.
Un plan de continuation validé en juin 2025 prévoit une réduction de la dette à 26 millions, soit une décote de 72 %. Seuls 10 % des montants dus aux créanciers non-prioritaires seront remboursés.

Le stade Matmut Atlantique, symbole de l’échec

Inauguré en 2015 pour l’Euro 2016, le stade Matmut Atlantique devait symboliser l’ambition européenne du club. D’un coût de 310 millions d’euros, il s’avère rapidement surdimensionné. Le loyer annuel de 4,7 millions devient insoutenable, en particulier pour un club amateur.
La société exploitante SBA (Stade Bordeaux Atlantique), filiale de Vinci et Fayat, enregistre des pertes continues. En mai 2025, la Métropole de Bordeaux reprend l’exploitation directe de l’équipement. Le modèle du partenariat public-privé est un échec manifeste. Le stade devient un « éléphant blanc », déconnecté des réalités économiques du territoire.

Une reconstruction incertaine à partir de la National 2

Le plan validé par le tribunal de commerce prévoit un strict encadrement budgétaire. Pour la saison 2025-2026, le club pourra fonctionner avec une masse salariale de 600 000 euros annuels. Le centre de formation reste fermé. Les possibilités de redéveloppement endogène sont quasi nulles.
Lopez conserve le contrôle du club, malgré les nombreuses tentatives de rachat avortées. Son refus d’ouvrir le capital à hauteur significative empêche toute recapitalisation durable. Sportivement, la remontée semble très lointaine, voire illusoire.

Une illustration des dérives du football français

Le cas bordelais illustre les failles du modèle économique du football français : dépendance aux droits TV, fuite en avant financière, infrastructures surdimensionnées, manque de contrôle sur les actionnaires. Malgré ses prérogatives, la DNCG n’a pas pu empêcher la faillite d’un club historique.
La catastrophe touche aussi les collectivités locales, qui avaient investi massivement dans les stades. Le modèle repose sur une logique de croissance constante, incompatible avec la réalité des ressources.

Bordeaux, un avertissement pour le football européen

L’effondrement des Girondins devient un cas d’école. Il montre comment des investisseurs sans ancrage sportif peuvent détruire en quelques années une institution centenaire. La perte dépasse le cadre sportif : elle est économique, sociale, territoriale. Le patrimoine est réduit à néant. En France, plusieurs clubs historiques ont frôlé le même sort : Saint-Étienne, Le Havre, Auxerre. Le modèle reste vulnérable. Sans réforme structurelle de la gouvernance, la disparition d’autres institutions n’est pas à exclure.

À l’aube de la saison 2025-2026, Bordeaux entame un cycle nouveau, contraint à la modestie. Le club, désormais amateur, n’a plus de centre de formation, plus de base salariale professionnelle, plus de perspective à court terme. Il ne reste que le nom, l’histoire, et un attachement local fort. Mais l’écart entre ce passé glorieux et la réalité présente est immense. Pour les Girondins de Bordeaux, le chemin vers la reconstruction sera long, incertain, et semé d’embûches.



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