Beaumanoir, l’exception bretonne

Face à la désindustrialisation du prêt-à-porter, Beaumanoir déploie une stratégie de conquête par l’acquisition. Un modèle rentable, mais clivant.

Résumé Résumé

En plein mois d’août, quand l’actualité somnole, le tribunal de commerce de Bobigny a livré son verdict : Naf Naf passe sous pavillon Beaumanoir. Une enseigne emblématique des années 1990, une énième fois en difficulté, reprise par un groupe breton qui a fait du redressement de marques fatiguées un métier. Le plan est net : 300 emplois maintenus sur 600, une poignée de boutiques sauvées, le reste passe à la trappe.

Côté reclassement, l’échec est cuisant : seuls dix salariés sur 253 ont accepté une mobilité interne. Un désaveu flagrant. Pour la CFDT, cela révèle un constat lucide : « l’habillement ne fait plus rêver, ni sur le plan économique, ni en termes de sécurité d’emploi ». Un secteur sinistré, un repreneur rationnel : la mécanique est désormais bien rodée.

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Le textile français : un secteur en désintégration

Le cas Naf Naf n’est pas isolé. En 2023, plus de 1 130 distributeurs de mode ont été placés en procédure collective en France, soit +50 % en un an. Sur la décennie, 37 000 postes ont disparu. Pouvoir d’achat sous pression, consommation en berne, arbitrages budgétaires serrés : le textile est en bout de chaîne. Et les anciennes gloires du prêt-à-porter milieu de gamme peinent à se réinventer.

Dans ce décor morose, Beaumanoir fait figure d’exception. Une croissance par acquisition, une discrétion stratégique, un empire bâti loin des projecteurs.

Beaumanoir, un modèle industriel à contre-courant

La Halle, Morgan, Caroll, Sarenza, Quiksilver, Bonobo, Jennyfer… La liste est longue, le rythme soutenu. À la tête du groupe, Roland Beaumanoir applique depuis des années la même recette : racheter, assainir, intégrer. Résultat : 2 700 points de vente, 15 000 salariés (dont près de la moitié en France) et un chiffre d’affaires consolidé de 2,3 milliards d’euros. Peu connu du grand public, mais omniprésent sur le terrain.

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Le modèle est clair : profiter des redressements judiciaires pour racheter à prix cassé, sans reprendre les dettes. Les actifs sont triés, le réseau restructuré, les coûts rationalisés. Et l’ensemble intégré dans une plateforme industrielle centralisée.

Synergies, marges et logistique : une mécanique bien huilée

En augmentant les volumes d’achats, Beaumanoir améliore ses marges. En multipliant les marques, il segmente ses offres et adresse une clientèle diversifiée. Jérôme Drianno, DG du groupe, défend cette logique : un portefeuille étoffé, des synergies logistiques, une structure allégée.

C’est aussi une stratégie de maillage territorial. Quand les grands groupes désertent les villes moyennes, Beaumanoir y renforce sa présence. « C’est un groupe provincial, dans le bon sens du terme », note Jérôme Monange, expert retail. Loin des paillettes parisiennes, l’entreprise creuse son sillon, boutique après boutique.

Le rachat de Sarenza en 2022 a renforcé l’assise numérique du groupe. La chaîne logistique est intégrée, mutualisée, optimisée. Cette agilité permet de résister à l’érosion des marges et aux mutations rapides du commerce.

Face à Shein et Temu, une résistance encore fragile

Mais cette efficacité a un prix. À chaque reprise, les coupes sont franches. La Halle en 2020, aujourd’hui Naf Naf : à chaque fois, des emplois sauvés… et des centaines de postes supprimés. Aurélie Flisar (CFDT Services) parle sans détour : « On assiste à une casse sociale programmée ». Pas de transition, peu de formation, encore moins de perspectives. Le modèle ne fait pas dans la dentelle.

Dans l’ombre de Beaumanoir, la menace se précise : Shein, Temu, Amazon. À eux trois, près d’un tiers des ventes de vêtements en ligne en France. Des prix imbattables, des plateformes dopées aux algorithmes, une gamification agressive. Résultat : des croissances à deux chiffres, des coûts publicitaires en inflation, et une concurrence qui semble jouer sans les mêmes règles.

L’État tente de réagir : en juin 2025, des sanctions ont été instaurées contre les produits non conformes — jusqu’à 50 % du prix hors taxe en cas de récidive. Une parade timide face à un rouleau compresseur.
Beaumanoir, lui, avance encore. Opportuniste, méthodique, patient. Tant qu’il y aura des enseignes à reprendre et un minimum de consommation à capter, le modèle peut tenir. Mais la tendance est là : un marché fragmenté, une demande volatile, une terrible pression venue d’Asie.



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