LVMH va-t-il racheter Armani ?

La mort de Giorgio Armani relance les spéculations : LVMH pourrait racheter le dernier bastion indépendant du luxe italien.

Résumé Résumé

Le monde du luxe est orphelin. Giorgio Armani, figure tutélaire de l’élégance italienne, s’est éteint le jeudi 4 septembre 2025 à l’âge de 91 ans. L’annonce officielle de sa disparition, faite par le groupe Armani dans un communiqué empreint de sobriété, a immédiatement suscité une vague d’hommages à travers les grandes capitales du luxe.

À Milan, Rome, Paris ou New York, c’est un pan entier de l’histoire contemporaine de la mode qui semble s’être refermé. Sa mort pose désormais une question que le secteur évitait de formuler ouvertement : que devient un empire construit à l’image d’un seul homme ? Et, en filigrane, qui pourrait aujourd’hui absorber un groupe aussi indépendant qu’Armani ? LVMH, Kering, ou une entité italienne comme Exor sont en embuscade. Mais au-delà des chiffres, c’est d’un héritage qu’il s’agit.

A LIRE AUSSI
Pourquoi la famille Arnault rachète massivement des actions LVMH

Un empire du luxe orphelin

Depuis cinquante ans, Giorgio Armani a bâti un empire à sa main. Ni cotée en Bourse, ni adossée à un groupe, la société Armani SpA s’est développée en marge des dynamiques dominantes du secteur. À rebours des logiques de concentration, il a toujours refusé les offres, même les plus insistantes, notamment celles venues de Bernard Arnault. Il a façonné son groupe comme une extension de lui-même : un écosystème à la fois ultra-structuré et profondément personnel.
Armani n’était pas seulement le créateur de ses collections. Il était l’architecte de son siège milanais, le curateur de ses hôtels à Dubaï, le garant de l’image de chacune de ses lignes, de la haute couture aux parfums. Cette centralisation absolue, parfois décriée, a aussi permis à la marque de conserver une cohérence rare dans un monde où la direction artistique est souvent déléguée ou externalisée.

A LIRE AUSSI
Chanel : deux ombres à la tête d’un empire

Armani, une cible stratégique pour LVMH

Cette quête d’indépendance s’est appuyée sur une diversification précoce. Dès les années 1980, Armani avait compris que le luxe ne se réduisait pas à l’habillement. Il a progressivement décliné son esthétique dans la parfumerie (avec L’Oréal), le mobilier (Armani Casa), l’hôtellerie (Armani Hotels & Resorts), la gastronomie (Armani Dolci), et même les fleurs (Armani Fiori).
Ce mode de vie global incarnait une vision : celle d’un luxe épuré, intemporel. Armani a imposé sa grammaire visuelle comme un langage universel, reconnaissable jusque dans la sobriété de ses campagnes et l’élégance minimale de ses boutiques. Aujourd’hui, avec 2 983 points de vente répartis dans 46 pays, le groupe s’est hissé au rang des grandes maisons mondiales, tout en restant une exception stratégique.

A LIRE AUSSI
Le crépuscule de LVMH ? Analyse d’un géant sur le déclin

Les obstacles à une acquisition directe

Mais cette singularité a un prix. L’empire Armani repose entièrement sur une figure disparue. Depuis le décès de Sergio Galeotti, son partenaire fondateur, en 1985, Giorgio Armani dirigeait seul, sans PDG officiel, sans conseil d’administration fort, sans succession clairement établie. Cette gouvernance ultra-concentrée constitue désormais un angle mort critique. Si une fondation Giorgio Armani a été créée en 2016 pour encadrer sa succession et verrouiller la gouvernance, elle n’a pas dissipé les doutes.
Leo Dell’Orco, directeur de la mode masculine et bras droit du couturier, est souvent cité, aux côtés de ses nièces Roberta et Silvana Armani. Mais aucun n’a véritablement émergé comme leader naturel. L’absence d’un successeur désigné, ou d’un comité stratégique formel, rend le groupe vulnérable.

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription est confirmée.

RECEVEZ NOTRE NEWSLETTER

Le marché, quant à lui, n’ignore rien de cette fragilité. Avec un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros en 2024, un EBITDA estimé à 370 millions, et une trésorerie dépassant les 600 millions d’euros, Armani SpA reste une entreprise solide, mais en phase de ralentissement. Les investissements massifs engagés récemment (plus de 330 millions d’euros pour la rénovation des boutiques et l’expansion numérique) traduisent une volonté de redéploiement. Mais sans la figure fédératrice de Giorgio Armani, ces efforts pourraient manquer de cap. Les analystes s’accordent à dire que le groupe, tout en restant désirable, pourrait ne pas pouvoir résister longtemps aux logiques de consolidation en cours dans le luxe mondial.

Quelles alternatives face à la tentation LVMH ?

Les prétendants potentiels sont identifiés. LVMH, dont l’appétit pour les marques italiennes n’est plus à démontrer après les rachats de Bulgari et Loro Piana, dispose des moyens financiers et de la structure pour intégrer un acteur comme Armani. Une acquisition valorisée entre 9 et 11 milliards d’euros, selon les multiples appliqués, ne serait pas hors de portée pour le géant français.

Kering
, de son côté, pourrait voir dans Armani une réponse stratégique au ralentissement de Gucci et à la nécessité de rééquilibrer son portefeuille. Mais son modèle d’intégration, plus recentré sur la mode pure, pourrait entrer en tension avec la dimension lifestyle du groupe italien. Enfin, Exor, holding de la famille Agnelli, reste une option à surveiller. Attachée à la souveraineté économique italienne, elle avait déjà approché Armani en 2021 pour un partenariat minoritaire. La configuration patrimoniale d’un tel rapprochement pourrait séduire les héritiers, même si elle limiterait les marges de transformation.

Une autre hypothèse, plus incertaine, reste sur la table : une introduction en Bourse, solution que Giorgio Armani n’avait jamais complètement écartée. Elle permettrait au groupe de lever des fonds tout en conservant une part de contrôle via la fondation. Mais elle suppose une gouvernance clarifiée, une vision stratégique affirmée, et une capacité à convaincre des investisseurs désormais exigeants.

En l’absence de son fondateur, la maison Armani traverse une zone grise. L’actif est prestigieux, mais sa valeur repose autant sur la légende que sur les performances financières. Contrairement à Hermès, dont la rentabilité est exceptionnelle, Armani affiche des marges plus modestes et une croissance ralentie. Ce qui intéresse les acquéreurs, ce n’est pas seulement le chiffre d’affaires, mais ce que représente la marque : un fragment de l’histoire du luxe, une incarnation du « Made in Italy », une aura mondiale. Autrement dit, un trophée stratégique, capable de renforcer une position concurrentielle ou de symboliser un ancrage culturel.

Le défi est donc double : préserver une identité forgée sur la rigueur et la vision d’un seul homme, tout en assurant la pérennité d’un groupe qui ne peut plus vivre en autarcie.



L'Essentiel de l'Éco est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Publier un commentaire