Viande pourrie, rats, peur : en plein Paris, le quartier de Château rouge s’effondre

Entre rats, viande avariée et trafics, ce quartier parisien sombre. Les habitants n’en peuvent plus tandis que les élus restent silencieux, à commencer par le député Aymeric Caron.

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Derrière les fenêtres closes, les habitants attendent la fin des cris. Au pied de l’immeuble, un barbecue brûle encore sur un caddie rouillé, les flammes nourries par des cartons. La fumée monte, piquante, jusqu’au quatrième étage. Sur le trottoir, des sacs-poubelles éventrés libèrent leurs contenus gras, mêlés à des débris alimentaires. Un rat s’immobilise un instant devant la grille d’un interphone, puis repart entre les jambes d’un vendeur à la sauvette.

Château-Rouge, dans le 18ᵉ arrondissement de Paris, ne connaît plus le répit. Ce quartier historique, au cœur de la Goutte d’Or, longtemps perçu comme un carrefour vivant de la diaspora africaine, s’effondre sous les effets conjugués de l’insalubrité, du désordre et de l’indifférence. Ici, les services publics peinent à suivre le rythme de la dégradation avancée du cadre de vie.

Un quotidien devenu invivable

Le sentiment d’étouffement gagne les rues dès la tombée de la nuit. Les familles se replient, les volets se ferment. Aïssatou, 52 ans, habite rue Myrha depuis près de trente ans. Son attachement au quartier a peu à peu laissé place à une forme de résignation.
« Ce quartier, je l’ai aimé. Il était vivant, populaire, bruyant parfois, mais on s’y sentait bien. Aujourd’hui, j’ai honte de recevoir du monde chez moi. Les gens dorment sur les trottoirs, les ordures s’entassent, et dès la nuit tombée, on ne sort plus. Il y a des cris, des disputes, de la violence. On est fatigués. Et on a l’impression que personne ne nous écoute. »

Autour d’elle, les trottoirs sont jonchés d’emballages, de détritus, d’objets abandonnés. Les barbecues de fortune, installés sur des cageots ou des caddies, recrachent leur fumée âcre jusque dans les appartements. L’odeur de viande grillée, la plupart du temps avariée, se mêle aux relents persistants des sacs-poubelles éventrés. « Parfois, les cris commencent à 22 heures et ne s’arrêtent qu’à 2 ou 3 heures du matin », raconte-t-elle.

Insalubrité persistante

La situation sanitaire est critique depuis des années. En 2016, l’association La Vie Dejean a obtenu devant le tribunal administratif la condamnation de la Ville et de l’État pour manquement à leur obligation de salubrité. Une décision confirmée en 2018. Pourtant, les riverains constatent que rien n’a fondamentalement changé.

Un agent de propreté en poste dans le quartier témoigne sous anonymat :
« On nettoie à 17 h, c’est sale à nouveau à 17 h 30. Il y a trop de monde, trop de déchets, pas assez de moyens. Et les gens sont à bout. Parfois, on nous insulte simplement parce qu’on passe. »

La collecte de déchets, bien que quotidienne, est débordée. Les rats circulent librement. À cela s’ajoutent des problèmes alimentaires graves : plusieurs boucheries ont été sanctionnées pour stockage de viande à même le sol, rupture de la chaîne du froid. Les odeurs remontent parfois jusqu’aux étages. Et les barbecues sauvages, alimentés avec des cartons récupérés, ne font qu’aggraver la situation.

(Photo DR)

« Quand on appelle la mairie… »

Les rues sont aussi occupées par une économie parallèle difficile à contenir. Ponctuellement, des opérations policières permettent d’interpeller quelques dealers ou vendeurs à la sauvette.  Mais le lendemain, tout recommence.

Julien, 38 ans, a emménagé dans un immeuble réhabilité en 2021. Son enthousiasme initial a laissé place à une désillusion franche. « On m’avait parlé d’un quartier populaire en mutation. Ce que je découvre au quotidien, c’est un quartier où l’anarchie règne. Il y a des rats dans les rues, des barbecues sous mes fenêtres avec une odeur insupportable, des vendeurs à la sauvette qui bloquent les trottoirs. Et quand on parle aux autorités, on sent bien que ce n’est pas leur priorité. »

Ce sentiment est partagé par les commerçants établis légalement. Rachid, 45 ans, tient une épicerie depuis près de vingt ans : « Nous, on est dans les règles. Et on se fait contrôler, sanctionner, pendant que des stands sauvages se montent juste devant notre vitrine. Et personne ne dit rien. Quand on appelle la mairie, ils nous répondent qu’ils n’ont pas les effectifs. »

Aymeric Caron, député absent

Cette impression d’abandon ne concerne pas seulement les services municipaux. Pour une partie des habitants, le silence des représentants nationaux est tout aussi pesant. Aymeric Caron, député de la circonscription, est régulièrement pointé du doigt pour son absence de terrain.

 « Il est beaucoup à la télé, mais ici, on ne l’a jamais vu, explique Elias, 34 ans, habitant du Boulevard Barbès. On ne lui demande pas de régler les problèmes tout seul, mais au moins de venir, de voir, de parler avec les gens. Il ne suffit pas de parler de justice sociale à l’Assemblée. Il faut affronter la réalité. Ici, on l’appelle le député invisible »

Trafic, insécurité, et loi du plus fort

Le quartier Château-Rouge–Barbès est classé Zone de Sécurité Prioritaire depuis 2012. Mais sur le terrain, les effets sont peu perceptibles. Le trafic de drogues est structuré, multi-produit – cannabis, cocaïne, crack, psychotropes – et les réseaux adaptent leurs pratiques. Certains vont jusqu’à neutraliser l’éclairage public pour éviter la vidéosurveillance.

La prostitution communautaire, encadrée par des réseaux nigérians et camerounais, reste présente sur plusieurs axes. En juillet 2024, sept personnes ont été condamnées pour traite d’êtres humains. Des associations alertent sur l’exploitation des mineurs arrivés illégalement en France, souvent toxicomanes.

Des collectifs locaux – Cavé Goutte d’Or, Action Barbès, La Vie Dejean – multiplient les rapports, les pétitions, les appels aux élus. Ils documentent avec précision les défaillances quotidiennes. Mais la réalité reste la même : les habitants ont le sentiment de vivre dans un quartier abandonné. Seuls.



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