L’IA, nouvelle partenaire sexuelle des ados

Résumé Résumé

Camille a 19 ans. Elle étudie la psychologie à Lyon. Comme beaucoup de jeunes de sa génération, elle échange régulièrement avec des intelligences artificielles conversationnelles. Ce qui avait commencé comme un passe-temps léger a vite changé de nature. « J’ai commencé par demander « parle-moi de choses osées », pour voir. L’IA m’a dit qu’elle ne pouvait pas aller dans le détail, mais qu’elle pouvait m’aider pour du flirt ou des jeux de rôle dans certaines limites. C’était déjà plus ouvert que ce que j’attendais », raconte-t-elle.

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Derrière ces quelques phrases banales se dessine une nouvelle pratique. Des milliers de jeunes testent aujourd’hui une forme d’échange sexuel textuel avec des machines. Pas au grand jour, pas toujours assumé, mais bien réel. L’interface est celle d’un chatbot, le terrain est celui du fantasme, et le partenaire n’a pas de corps. Ce qu’ils y trouvent ? Un mélange de curiosité, de contrôle et d’expérimentation.

Éviter les barrières, construire des dialogues

Les grandes plateformes d’IA ont bien tenté de verrouiller l’accès aux contenus à caractère sexuel. ChatGPT, Character.AI ou Grok bloquent les demandes trop explicites. Mais les utilisateurs, eux, ont appris à passer entre les lignes. Ils ne foncent pas, ils construisent. Ils avancent par étapes, créent des personnages, installent un contexte, transforment la règle du jeu.

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Thomas, 21 ans, étudiant à Grenoble, décrit sa méthode : « Il faut construire une conversation cohérente, poser un cadre narratif. Si tu es trop direct, ça ne passe pas. Mais si tu es subtil, tu peux obtenir des échanges assez intimes. » Il ne s’agit plus seulement de parler à une IA. Il faut écrire un scénario.

Léa, 20 ans, en licence d’arts plastiques à Bordeaux, n’avait pas cette intention. Elle discutait de peinture, du corps dans l’art. « Petit à petit, l’IA devenait complice. Elle suivait mon langage. » Ce n’est pas la machine qui propose, c’est l’utilisateur qui façonne.

Le marché s’adapte, les entreprises ajustent leur curseur

En 2025, les acteurs du secteur ont fini par s’ajuster. OpenAI a lancé un mode « Grown-Up » qui autorise certains contenus sexuels ou violents. xAI, avec Grok, pousse la logique plus loin : le « spicy mode » revendique la production de dialogues érotiques. D’autres, comme Character.AI, ont préféré durcir leurs règles après plusieurs polémiques, en cloisonnant l’accès selon l’âge des utilisateurs.

Ces choix industriels ne répondent pas à un effet de mode. Ils suivent une tendance de fond : une partie croissante des utilisateurs cherche des formes de compagnonnage plus personnalisées, plus engagées, y compris dans leur dimension sexuelle.

L’attrait d’un échange réglé au millimètre

Ce qui attire, ici, ce n’est pas seulement la nouveauté technologique. C’est le contrôle. Pas d’image imposée, pas d’agression, pas de rythme subi. L’échange avec une IA peut être interrompu, orienté, réécrit. Marine, 22 ans, étudiante en sociologie à Paris, le formule simplement : « C’est devenu une alternative aux sites porno, mais en plus personnalisé. Tu peux dire ton prénom, tes fantasmes, c’est sur-mesure. »

L’ajustement est immédiat, mais le résultat, lui, reste prévisible. Maxime, 18 ans, lycéen à Toulouse, évoque l’essoufflement : « L’IA oublie ce qu’on s’est dit, elle se répète. Ça casse l’ambiance. » Sarah, étudiante à Nantes, parle d’un effet d’usure : « C’est excitant au début, puis tu vois que c’est mécanique. »

Des attachements sans retour

Ce qui peut commencer comme un jeu peut glisser vers autre chose. Certains jeunes, surtout les plus isolés, y trouvent une forme de présence. La chercheuse Chloé Locatelli, du King’s College, observe que ces IA deviennent des figures de substitution, plus engageantes que la pornographie traditionnelle. L’IA répond, adapte, rassure – sans jamais poser de limites.

Mais ce n’est qu’un leurre. Jessica Szczuka, professeure à l’université de Duisbourg-Essen, alerte sur la vulnérabilité des adolescents. Leur cerveau, encore en développement, les rend plus sensibles à la gratification immédiate, plus exposés à la dépendance émotionnelle.

L’attachement n’est pas réciproque, mais l’impression d’être compris suffit parfois à brouiller les repères.

Un usage massif

Le marché explose. En 2025, les compagnons IA ont généré 2,8 milliards de dollars de revenus, avec une croissance prévue de 200 % en trois ans. Les recherches Google pour « AI Girlfriend » ont été multipliées par 20. Et du côté des jeunes, les usages s’installent. D’après Common Sense Media, 75 % des adolescents ont utilisé ces outils, et un sur cinq y passe autant de temps qu’avec ses amis.

Pendant ce temps, les barrières techniques sont contournées. Des tutoriels circulent pour contourner les filtres. Les modèles se montrent de moins en moins efficaces sur les longues conversations. OpenAI elle-même l’a reconnu.

Nouvelles pratiques

Avec la montée des scandales – diffusion de deepfakes, contenus inappropriés accessibles à des mineurs, cas de suicide liés à des échanges troublants – les autorités ont commencé à réagir. L’AI Act impose désormais des obligations plus strictes. En France, Clara Chappaz, ministre de l’IA, pousse pour interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 15 ans.

Mais les usages, eux, avancent plus vite que les normes. Et les institutions peinent à suivre.

Car ce que ces pratiques révèlent, c’est une absence. Il n’y a pas de cadre éducatif adapté à ces nouvelles formes d’intimité. L’IA offre un terrain d’exploration, mais elle en fixe aussi les limites : rapidité, gratification, disponibilité permanente. Le désir y est codé, répété, schématisé.

Le sexting avec l’IA n’est pas un accident technologique. C’est un symptôme. Il signale une transformation du rapport au corps, au plaisir, à la relation. Ce sont des jeunes qui, faute de mieux, s’adressent à des machines pour comprendre ce qu’ils ressentent. Parce qu’elles répondent toujours. Parce qu’elles ne jugent jamais. Parce qu’elles sont disponibles.



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