Nantes Saint-Nazaire : un port au bord du naufrage

Le port de Nantes Saint-Nazaire décroche. Un rapport alarmant détaille les failles de gouvernance, la chute du trafic et les tensions sociales.

Résumé Résumé

Le rapport publié par la Cour des comptes en ce début de semaine vient confirmer une tendance que les observateurs du monde portuaire redoutaient : le Grand Port maritime de Nantes Saint-Nazaire, pourtant premier port de la façade atlantique et quatrième à l’échelle nationale, est engagé dans une dynamique de déclin structurel.
À la baisse de ses trafics s’ajoutent des tensions sociales persistantes, une gouvernance fragilisée, et une dépendance aux énergies fossiles qui freine sa transition. Un enchaînement de facteurs qui menace à terme son rang stratégique dans l’économie portuaire française.

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Chute brutale de l’activité

En 2024, le port de Nantes Saint-Nazaire a vu son trafic global chuter de 10 %, tombant à 25,7 millions de tonnes. Cette baisse est d’autant plus préoccupante qu’elle s’inscrit dans une séquence de stagnation prolongée, alors même que d’autres ports français renforcent leurs positions.

La chute du gaz naturel liquéfié, l’un des piliers du trafic du port, a été particulièrement marquante : –38 %, en raison notamment d’un arrêt technique de plusieurs mois du terminal méthanier opéré par Elengy. Les exportations de céréales ont également reculé de 20 %, tandis que le trafic de conteneurs continue sa lente érosion, avec seulement 133 000 EVP traités en 2024, en baisse de 13 %. Ces chiffres révèlent un affaiblissement généralisé des grands leviers d’activité du port, à rebours des dynamiques d’investissement et de modernisation observées ailleurs sur le littoral français.

Un climat social délétère

Le rapport des magistrats financiers pointe avec insistance les effets d’un climat social tendu, qui désorganise profondément l’activité portuaire. Entre 2017 et 2024, 165 jours de grève ont été recensés sur le site, soit près d’un mois par an en moyenne. En 2024-2025, ces mouvements ont connu un regain d’intensité, dans un contexte national marqué par les mobilisations contre la réforme des retraites.

La CGT Ports et Docks, qui syndique près de 90 % des dockers, reste la force dominante sur place. Les conflits sociaux mobilisent régulièrement une part significative des effectifs : jusqu’à 38 % selon les chiffres relevés par la Cour. Cette situation contribue directement à l’irrégularité des flux et à la perte de compétitivité du site.

Dérapage des effectifs et explosion des coûts

Dans ce contexte tendu, les effectifs du port sont passés de 570 à 664 salariés entre 2017 et 2024. Une progression que la Cour des comptes estime non maîtrisée : plusieurs postes créés ne répondent à aucun besoin clairement identifié et doublonnent parfois des fonctions déjà existantes. La masse salariale a ainsi augmenté de 50 % sur la période, alourdie par l’attribution de nombreuses primes et revalorisations.

Dans le même temps, les charges d’exploitation globales ont bondi de 55,5 %, entraînant une chute drastique de la rentabilité. Le résultat d’exploitation, qui représentait encore 14,7 % du chiffre d’affaires en 2017, s’est réduit à 3,4 % en 2024, après deux années de pertes consécutives en 2020 et 2021. Un effritement préoccupant qui pèse sur la capacité du port à investir dans son avenir.

Une dépendance aux fossiles qui plombe la trajectoire

Alors que la plupart des grands ports français ont entamé leur mutation vers un modèle plus durable, Nantes Saint-Nazaire reste très largement dépendant des énergies fossiles. En 2024, pétrole, charbon et gaz représentent encore 70 % des trafics.

La raffinerie TotalEnergies de Donges, infrastructure centrale du complexe portuaire, incarne cette dépendance. En 2024, elle a connu plusieurs incidents notables, dont une fuite d’hydrogène en septembre. Ces événements ont accentué les tensions avec les riverains et fragilisé un peu plus la réputation du site. Chaque arrêt technique de la raffinerie se répercute lourdement sur les comptes du port, sans qu’une alternative crédible ne se dessine à court terme.

Le fiasco de la diversification logistique

L’une des ambitions affichées ces dernières années était de renforcer le rôle du port dans le trafic de conteneurs. Mais cette stratégie s’est révélée inefficace. Le volume traité a chuté régulièrement depuis 2017 pour atteindre, en 2024, un niveau historiquement bas.

La gestion du terminal par la société TGO est directement mise en cause. La Cour des comptes recommande une renégociation de la convention d’exploitation, jugée trop peu contraignante, afin d’obliger l’opérateur à investir dans des infrastructures modernes. En l’état, le port n’est pas en mesure de capter une part significative des flux conteneurisés, un handicap sérieux face à la concurrence de ports mieux outillés.

Une Gouvernance en question

Le changement de direction, avec la nomination en avril 2024 de Jean-Rémy Villageois, spécialiste de la transition énergétique et ancien directeur du port de la Martinique, marque une inflexion potentielle. Celui-ci affiche la volonté de « rééquilibrer l’ensemble du modèle économique » du port.

Mais sa marge de manœuvre reste limitée face à l’ampleur des déséquilibres structurels. Le rapport des magistrats souligne l’absence d’une stratégie claire et partagée à long terme, dans un écosystème où les responsabilités sont éclatées entre État, collectivités locales, partenaires industriels et syndicats. Sans pilotage fort, les initiatives de redressement peinent à se concrétiser.

Comme l’ensemble des ports français, Nantes Saint-Nazaire est de plus en plus exposé aux risques liés au narcotrafic. En 2024, un record de 47 tonnes de cocaïne a été saisi dans les ports du pays, dont 75 % via la voie maritime. Le port ligérien reste moins concerné que Le Havre, mais son exposition croît rapidement.

La Cour insiste sur la nécessité de moderniser les dispositifs de sûreté pour anticiper l’évolution des menaces, alors que les réseaux criminels internationaux adaptent leurs méthodes aux vulnérabilités logistiques de chaque port.

Entre volontarisme industriel et incertitudes financières

Le projet Éole, dédié à l’éolien flottant, illustre la volonté affichée par le port de se positionner sur la filière des énergies renouvelables. Mais avec un coût estimé à 235 millions d’euros, l’initiative reste un pari risqué. Le financement est loin d’être bouclé, et les critiques se multiplient sur la capacité réelle du port à porter seul une telle charge.

Une concertation a été lancée en mars 2025, accompagnée d’un comité de suivi. Mais les incertitudes demeurent, tant sur le plan technique que financier. En parallèle, la politique de valorisation foncière engagée ces dernières années continue de porter quelques fruits : la mise à disposition d’espaces « clés en main » a permis l’implantation de nouvelles entreprises logistiques et industrielles. Selon une étude de l’INSEE publiée en septembre 2024, le complexe industrialo-portuaire génère aujourd’hui 28 700 emplois dans le Grand Ouest, un chiffre en légère hausse.



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