Résumé Résumé
En 2024, le groupe français B&B Hotels a ouvert son premier établissement aux États-Unis avec une ambition assumée : dépoussiérer le modèle des motels. Derrière ce pari transatlantique, une stratégie construite dans la durée, un changement de gouvernance et une croissance qui défie les standards de l’industrie hôtelière. Plongée dans une conquête menée avec méthode.
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Un modèle hôtelier européen adapté au marché américain
À Orlando, en bordure de l’autoroute menant aux parcs Universal, un hôtel de 218 chambres, sobre et rénové, marque le premier jalon d’un projet bien plus vaste. Ce n’est pas une simple ouverture à l’international. Pour B&B Hotels, acteur historique de l’hôtellerie économique européenne, ce bâtiment est un manifeste. Le président du groupe, Fabrice Collet, résume sans détour l’enjeu : « dépoussiérer le modèle des motels américains ».
Le mot est fort. Derrière lui, une conviction : le marché hôtelier d’entrée de gamme aux États-Unis s’est figé. Le modèle du motel, omniprésent dans les périphéries routières américaines, peine à se renouveler, tant sur le plan de l’offre que de l’expérience client.
Floride et Texas : des territoires choisis stratégiquement
L’ambition du groupe brestois est donc claire : imposer un modèle alternatif, éprouvé sur les marchés européens, et capable de s’inscrire dans la durée. Après Orlando, deux autres établissements ont été ouverts à Miami et Jacksonville. Le quatrième projet, dans le quartier de Brickell à Miami, constitue une étape supplémentaire : il s’agit cette fois d’un développement en terrain vierge, avec la construction d’un hôtel de 40 chambres.
L’opération est supervisée par Valerio Duchini, ancien dirigeant des opérations italiennes de B&B Hotels, nommé CEO pour le marché américain. L’objectif annoncé est ambitieux : 400 établissements aux États-Unis d’ici 2033, pour une valeur immobilière estimée à 4 milliards de dollars.
Le choix de concentrer les premières implantations en Floride puis au Texas ne relève pas du hasard. Ces deux États présentent des similitudes géographiques et démographiques avec les régions d’implantation historique du groupe en Europe : densité de population, maillage autoroutier important, mobilité interurbaine élevée. La stratégie consiste à reproduire un écosystème déjà maîtrisé, tout en l’adaptant aux spécificités du marché local. Cette approche graduelle permet de limiter les risques tout en préparant les fondations d’un développement à grande échelle.
Cette internationalisation repose en grande partie sur la vision de Fabrice Collet, président du groupe depuis 2019. Entré en 2012 en tant que directeur financier, il a accompagné l’expansion du groupe jusqu’à en devenir l’un des principaux architectes. Depuis mars 2025, il s’est recentré sur les enjeux stratégiques à long terme, cédant la direction générale à Céline Vercollier, dans un contexte de réorganisation de la gouvernance. Le projet américain reste sous sa responsabilité directe. Il incarne une forme de transmission assumée, dans la continuité de celle opérée en son temps par Georges Sampeur, ancien président du groupe de 2005 à 2016.
Des défis majeurs dans un secteur hôtelier ultra-concurrentiel
La tentative américaine ne s’explique pas sans un retour sur la trajectoire du groupe. Ces cinq dernières années, B&B Hotels a connu une croissance hors norme : 125 ouvertures en 2024, soit plus de deux par semaine, portant le parc mondial à 897 établissements. Le chiffre d’affaires s’est établi à 1,4 milliard d’euros, en hausse de 16 % par rapport à l’année précédente.
En France, le groupe est devenu en 2025, selon le cabinet MKG Consulting, le premier acteur de l’hôtellerie économique en nombre de chambres, dépassant Ibis. Il se classe également en tête en Allemagne, en deuxième position en Espagne, et consolide sa présence en Italie et en Europe du Nord.
À la différence des chaînes low-cost, B&B Hotels mise sur une hôtellerie économique standardisée, mais qualitative. Les établissements intégrés dans le réseau — souvent des reprises — font systématiquement l’objet de rénovations pour répondre aux standards du groupe. Le positionnement vise à proposer un produit simple, cohérent et fiable, tout en maintenant des prix accessibles. Ce choix s’est révélé payant sur les marchés européens, où la montée en gamme de l’hôtellerie économique a accompagné la transformation des usages : séjours plus courts, digitalisation accrue, attentes renforcées en matière de propreté et de confort.
L’adaptation au marché américain, en revanche, implique des ajustements. B&B Hotels entre dans un écosystème dominé par de grands groupes nationaux et des opérateurs historiques. Les défis sont multiples : capter une clientèle habituée à d’autres codes, maîtriser les coûts de développement dans un environnement immobilier tendu, imposer une marque encore inconnue du grand public.
Dans cette perspective, le soutien de Goldman Sachs, actionnaire majoritaire depuis 2019, constitue un levier stratégique important. La banque d’investissement, qui envisage une cession du groupe à moyen terme, évalue sa valorisation entre 3,5 et 4 milliards d’euros, soit le double de son prix d’acquisition.
Une ambition mondiale portée depuis la Bretagne
Cette montée en puissance ne signifie pas un désancrage. Le siège social de B&B Hotels demeure à Brest. Le groupe, né en 1990, revendique son attachement à ses racines bretonnes et à une culture entrepreneuriale indépendante. Face aux multiples tentatives de rachat — françaises, américaines, puis chinoises — le groupe a conservé son autonomie, notamment grâce à un modèle économique original : il détient les fonds de commerce de ses hôtels, mais pas les murs, ce qui lui permet une expansion rapide en s’appuyant sur un réseau de 300 partenaires investisseurs.
À 35 ans, B&B Hotels ambitionne de devenir un acteur mondial de référence. La conquête américaine ne se limite pas à une stratégie de développement. Elle engage la transformation d’un symbole : le motel. Si le pari est tenu, il pourrait bien marquer une étape clé dans la redéfinition de l’hôtellerie économique internationale.