Rendez-vous chez un dermatologue : mission (presque) impossible

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En France, obtenir un rendez-vous chez un dermatologue devient de plus en plus ardu. Si la baisse du nombre de spécialistes est bien réelle, elle ne suffit pas à expliquer l’ampleur de la crise. Désorganisation du système, fracture territoriale, pratiques médicales en mutation : une enquête approfondie met en lumière une situation plus complexe qu’il n’y paraît.

Des délais d’attente de plus en plus longs

Selon une récente enquête de 60 Millions de Consommateurs, la dermatologie figure parmi les spécialités les plus sinistrées en matière d’accès aux soins. D’après les données de Doctolib, le délai moyen d’attente pour obtenir une consultation s’élève à 49 jours au niveau national. Un chiffre qui masque d’importantes disparités géographiques. En Saône-et-Loire, il faut compter en moyenne 80 jours pour voir un spécialiste, contre seulement 14 en Savoie ou 18 à Paris.

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Cette lenteur croissante génère une forme de renoncement. D’après les États Généraux de la Dermatologie, la moitié des 15 millions de Français souffrant de pathologies cutanées renoncerait à consulter un dermatologue. Un sondage Ifop de l’été 2024 révèle que près de la moitié des Français a abandonné l’idée même de tenter d’obtenir un rendez-vous. La saturation du système est telle que, selon Elie Lacroix, biostatisticien au CHU de Rouen, « la plupart des dermatologues refusent les nouveaux patients ».

Une répartition inégale des dermatologues sur le territoire français

La situation reflète avant tout un déséquilibre démographique. En 2024, le Puy-de-Dôme compte six dermatologues pour 100 000 habitants, soit le niveau recommandé par les autorités sanitaires. Pourtant, le délai d’attente y atteint 62 jours. En cause : l’afflux de patients venus des départements voisins, totalement dépourvus de spécialistes, comme la Creuse, l’Indre ou la Nièvre.

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Dans plus de la moitié des départements métropolitains, on recense moins de trois dermatologues pour 100 000 habitants. L’Allier, la Corrèze ou encore la Haute-Loire en comptent à peine deux. À l’inverse, Paris en recense seize, et certaines zones côtières comme les Alpes-Maritimes ou la Gironde en totalisent entre sept et huit pour 100 000 habitants. Mais même au sein de ces régions, les disparités persistent. « En Provence-Alpes-Côte d’Azur, il suffit de faire une heure de trajet vers les terres pour retrouver des territoires très enclavés sans praticiens », note le Pr Thierry Passeron, dermatologue au CHU de Nice.

Au niveau national, le nombre total de dermatologues a chuté de 10 % en dix ans. En 2023, la France n’en comptait plus que 2 981 selon le Syndicat National des Dermatologues-Vénéréologues (SNDV), voire 2 928 selon la Société Française de Dermatologie (SFD).

Des alternatives émergentes : téléexpertise, IA et nouvelles pratiques

La raréfaction des spécialistes s’explique également par le manque de formation. De 2000 à 2022, le nombre de dermatologues a chuté de 5 à 3,5 pour 100 000 habitants. Et la tendance devrait s’aggraver avec le vieillissement des effectifs : en mars 2023, plus de 60 % des dermatologues en activité avaient plus de 55 ans. Près d’un tiers dépasse les 60 ans, contre 11 % en 2007. Dans certains départements comme l’Ain, on ne compte que six dermatologues pour 671 000 habitants.

Le ministère de la Santé estime que la France ne comptera plus que 2 770 dermatologues en exercice d’ici 2030, contre plus de 4 000 en 2006. Un déficit de formation structurel, hérité de décennies de numerus clausus trop restrictifs. En 2024, seulement 94 internes ont été formés. Il en faudrait 125 chaque année pour stabiliser la profession, selon la SFD.

Le 3 avril 2025, les premiers États Généraux de la Dermatologie ont réuni les représentants de la profession au ministère de la Santé. Un Plan National pour la Dermatologie a été annoncé, avec le soutien du ministre Yannick Neuder. Mais les mesures restent modestes. Pour l’année universitaire 2025-2026, seuls 102 postes d’internes sont prévus, soit un de moins qu’en 2024. Des ajustements jugés « largement insuffisants » par le SNDV, qui rappelle qu’un dermatologue met près de dix ans à être formé.

Pour répondre à la saturation du système, de nouvelles modalités de soins émergent. Depuis avril 2022, la téléexpertise permet à un médecin généraliste d’interroger un spécialiste à distance. Ce type de consultation est rémunéré : 10 euros pour le médecin demandeur, 20 pour le dermatologue. En Bourgogne, 1 225 téléexpertises ont été réalisées : 37 % ont débouché sur une chirurgie, 70 % ont concerné des tumeurs cancéreuses.

Parallèlement, l’intelligence artificielle investit les pharmacies. Des dispositifs comme SkinMed ou Pictaderm offrent un pré-diagnostic en 48 heures, voire 12 heures. Ces outils peuvent orienter rapidement les patients vers une consultation si nécessaire, tout en désengorgeant les cabinets.

Autre exemple : les Équipes de Soins Spécialisés en Dermato-Vénéréologie (ESSDV) parviennent à proposer des délais de consultation de huit jours pour un mélanome, contre plus de trois mois dans les circuits classiques.

Vers une redéfinition de la dermatologie

Malgré tout, la profession peine à retrouver son rythme d’avant-crise. Depuis 2020, l’activité n’a jamais rattrapé les niveaux de 2019. Le Pr Vivien Hébert, du CHU de Rouen, avance une modification durable des modes de vie, autant chez les patients que chez les soignants. Il évoque également une surcharge liée à des motifs de consultation bénins : grains de beauté inoffensifs, verrues, examens sans nécessité médicale. Des rendez-vous facilités, voire démultipliés, par des plateformes comme Doctolib.

« Tout le monde pense que son motif de consultation est primordial, ce qui s’entend. Mais une assistante médicale sait qu’on n’accorde pas la même priorité à une verrue qu’à un grain de beauté qui bouge », explique Luc Sulimovic, président du SNDV. Christine Poirot ajoute : « Des patients désespérés prennent plusieurs rendez-vous et oublient parfois d’annuler ceux qu’ils n’utilisent pas ».

Un autre sujet de friction est l’essor des actes esthétiques. Injections et soins non remboursés, très rémunérateurs, se multiplient. Impossible toutefois d’en mesurer la proportion : ces actes échappent aux statistiques de l’Assurance maladie. « Il est facile de culpabiliser les patients quand les dermatologues font de plus en plus d’esthétique », réplique Bénédicte Charles, présidente de l’association France Psoriasis.

Phénomène inattendu, les adolescents ne consultent quasiment plus. Alors qu’ils représentaient 20 % de la patientèle des dermatologues en 2014, ils n’en constituent plus que 1 % en 2022. « Peut-être les généralistes suivent-ils désormais eux-mêmes l’acné ? », s’interroge le biostatisticien André Gillibert. D’autres invoquent un changement de regard social, porté par des figures médiatiques comme la mannequin Winnie Harlow, atteinte de vitiligo. Pourtant, les adolescents de 14 à 17 ans restent la classe d’âge la plus complexée par leur peau : 62 % d’entre eux en 2024, selon l’Ifop.



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