Résumé Résumé
Six ans après l’immobilisation de sa flotte de 737 MAX, Boeing a discrètement refermé l’un des chapitres les plus sombres de son histoire industrielle. Le 25 août 2025, le dernier appareil stocké sur le site de Moses Lake, dans l’État de Washington, a pris son envol à destination de la Chine.
L’avion de ligne numéro 7813, destiné à Air China, quitte une « usine fantôme », terme utilisé par l’avionneur lui-même pour désigner cette installation provisoire, conçue pour entretenir une flotte entière de monocouloirs cloués au sol. Derrière cette fermeture se cache une transformation plus large, laborieuse et encore inachevée, pour un groupe qui cherche à retrouver sa place dans l’industrie aéronautique mondiale.
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La fin d’une ère industrielle chez Boeing
En mars 2019, après deux accidents impliquant le 737 MAX ayant causé la mort de 346 personnes, Boeing est contraint de suspendre les vols de ce modèle sur décision des autorités de l’aviation civile américaine. Pendant près de deux ans, ses appareils restent immobilisés. Pourtant, pariant sur un retour rapide en exploitation, l’avionneur maintient sa production à Renton, dans l’État de Washington. Très vite, les avions s’accumulent. L’apparition de la pandémie de Covid-19 et l’explosion des annulations de commandes aggravent encore la situation. Aux difficultés de livraison s’ajoutent les premiers signaux d’une crise de qualité interne, révélant l’ampleur des failles de l’organisation industrielle.
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C’est dans ce contexte qu’apparaît Moses Lake, transformé en zone de stockage de masse pour des centaines de 737 MAX. Jusqu’à 250 appareils y sont entreposés. D’autres sites suivent : San Antonio au Texas, Victorville en Californie, et la région de Puget Sound. L’objectif est double : maintenir les avions en état de vol et adapter les systèmes de bord, notamment le logiciel MCAS mis en cause dans les crashs. En parallèle, Boeing ouvre une autre « usine fantôme » à Everett, cette fois pour réparer les jointures de fuselage de 122 exemplaires du long-courrier 787. Ce site éphémère ferme à son tour en février 2025.
Une relance progressive
Progressivement, la situation s’inverse. Le retrait des appareils entreposés s’accélère, et les salariés affectés aux opérations de maintenance sont redéployés vers les lignes de production traditionnelles. À Moses Lake, près d’un millier d’employés auront été mobilisés. Leur retour contribue à relancer une activité industrielle qui, depuis 2019, n’avait jamais retrouvé son rythme de croisière. La fermeture du site symbolise donc autant une page qui se tourne qu’un effort de recentrage vers la production.
Le redémarrage est cependant étroitement encadré. Boeing, qui a livré 280 appareils au premier semestre 2025, son meilleur résultat depuis 2018, reste sous la surveillance constante des autorités. La production mensuelle du 737 MAX est stabilisée à 38 unités, avec l’objectif de passer à 42 d’ici la fin de l’année. Mais pour cela, il faudra convaincre la FAA de lever le plafond imposé après l’incident survenu en janvier sur un appareil d’Alaska Airlines, dont une porte s’était détachée en vol. L’enquête du NTSB, close en juin, pointe des « défaillances systémiques multiples » chez Boeing, Spirit AeroSystems, mais aussi la FAA elle-même. Des conclusions qui prolongent la défiance réglementaire et illustrent la difficulté de revenir à un fonctionnement normal.
Les défis persistants autour des modèles MAX 7 et MAX 10
Dans le secteur du long-courrier, les signaux sont plus favorables. Le 787 est actuellement produit à raison de sept exemplaires par mois, contre un peu plus de quatre en 2024. Boeing vise dix unités mensuelles en 2026. En parallèle, la production du 767 tourne à trois appareils par mois et celle du 777 à quatre, uniquement pour des modèles cargo. Le 777X, version modernisée destinée au transport de passagers, attend toujours sa certification, désormais prévue pour 2026, avec six ans de retard.
Mais alors que la production reprend, de nouveaux retards s’accumulent sur les variantes MAX 7 et MAX 10. Boeing a été contraint de repousser leur certification à 2026, en raison de défauts persistants sur le système anti-givre des moteurs. La solution initiale s’étant révélée problématique, l’avionneur doit revoir sa copie, allongeant d’autant les délais. Ces glissements affectent directement ses clients : Southwest Airlines, premier client du MAX 7, ne prévoit plus aucune livraison avant l’année prochaine.
Vers une reconquête industrielle et géopolitique
À la tête du groupe depuis août 2024, Kelly Ortberg tente de piloter cette reconstruction. L’ancien dirigeant de Collins Aerospace a hérité d’un climat social dégradé et d’une culture d’entreprise minée par les crises successives. Une enquête interne conduite en 2025 montre que seulement 67 % des salariés se disent fiers de travailler chez Boeing, contre 91 % en 2013. Le nouveau CEO a lancé une refonte des valeurs de l’entreprise et multiplie les rencontres avec les équipes. Des efforts fragilisés par une nouvelle grève des machinistes de Boeing Defense à St. Louis, débutée le 4 août 2025. Elle affecte la production d’avions militaires F-15, F/A-18 et du 777X, confirmant la persistance des tensions internes.
Sur le plan financier, Boeing entrevoit néanmoins un redressement. Au deuxième trimestre 2025, le groupe a enregistré une hausse de 35 % de ses revenus, atteignant 22,7 milliards de dollars, et une réduction de 63 % de ses pertes par rapport à l’an dernier. L’objectif d’un flux de trésorerie disponible positif est fixé pour le quatrième trimestre. Le retour à la rentabilité est annoncé pour 2026.
Parallèlement, Boeing accélère sa réintégration verticale avec l’acquisition de Spirit AeroSystems, pour un montant de 4,7 milliards de dollars. Ce rachat stratégique doit permettre de sécuriser des composants critiques et d’économiser 1,2 milliard de dollars par an d’ici deux ans. Un signal fort adressé aux marchés, mais aussi une tentative de regagner le contrôle d’une chaîne d’approvisionnement devenue source de fragilité.
Sur le front géopolitique, le groupe bénéficie d’un nouveau souffle. Après plusieurs années d’interruption, les livraisons vers la Chine ont repris en juin 2025. Boeing négocie actuellement un contrat majeur de 500 avions, dans un contexte où Airbus, désormais leader en termes de livraisons mondiales, vient de franchir le cap des ventes cumulées de l’A320, désormais l’avion le plus vendu au monde.