Gaza affamée : et si le vrai scandale, c’était notre silence ?

La famine ravage Gaza. L’ONU accuse, les preuves s’accumulent. Jusqu’à quand le monde laissera-t-il faire, sans agir, sans même parler ?

Par-delà les chiffres, les bilans provisoires et les communiqués des chancelleries, l’ONU vient d’énoncer ce que nul ne peut plus ignorer : la famine s’est installée dans la bande de Gaza. Non comme une calamité naturelle, non comme une fatalité imprévisible, mais comme une conséquence directe, brutale et planifiée d’un siège méthodique. Depuis des mois, les images nous parviennent, ininterrompues, insoutenables. Des enfants au ventre creux, des mères aux traits creusés, des hôpitaux vidés de tout, sauf de leur détresse. Ce n’est pas seulement l’indignation qui s’impose, c’est le constat d’un effondrement moral collectif. Ce que nous voyons, ce que nous savons, engage notre responsabilité.

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Le siège de Gaza : une stratégie politique assumée

Quarante années de reportages au Proche-Orient ne m’ont pas préparé à cette forme de violence-là. J’ai connu les chars, les dictatures, les tremblements de terre et les famines causées par la sécheresse. J’ai vu la douleur, partout, dans ses visages les plus durs. Mais ici, à Gaza, ce n’est pas une catastrophe. C’est une décision. Une famine fabriquée, imposée, administrée. Une famine avec des auteurs, des relais, des complices. Une famine où chaque enfant affamé est le produit d’une chaîne de choix politiques assumés — et tu.

La responsabilité première incombe à Benyamin Netanyahou et à son gouvernement, dont les actes relèvent d’une stratégie punitive contre toute une population. Mais le silence, la complaisance, l’alignement diplomatique, voire la participation logistique, engagent bien au-delà de Tel-Aviv. Washington, Bruxelles, Le Caire, Riyad, Moscou, Pékin : tous, à des degrés divers, participent à ce qui n’est plus un simple conflit régional, mais une faillite mondiale du droit, de la morale et de l’humanité.

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Un silence international face à une crise humanitaire planifiée

Je revois encore les réfugiés soudanais, en 1990, affluant vers Khartoum, dévastés par une famine aggravée par l’incurie étatique. Mais à Gaza, ce n’est ni le climat, ni l’accident : c’est l’ordre. L’ordre d’empêcher les convois, de cibler les silos, d’entraver les puits, de couper les vivres. Une mécanique de siège, d’asphyxie, de domination. Les camions d’aide bloqués aux frontières, les infrastructures civiles frappées, les stocks alimentaires réduits à néant — tout cela dessine une volonté claire : briser une population par la faim.

Certes, le 7 octobre 2023 reste une date de sang. L’attaque du Hamas a légitimement suscité l’effroi et la condamnation. Mais que reste-t-il du droit international, si cet événement, aussi tragique soit-il, justifie la suspension totale des règles de la guerre ? Depuis cette date, l’armée israélienne agit dans Gaza non pour se défendre, mais pour détruire. Et en Cisjordanie, les colons poursuivent, avec la bénédiction tacite de l’État, un processus d’expulsion insidieuse. Le 7 octobre devient l’alibi d’un projet antérieur : effacer un peuple.

La famine à Gaza, symptôme d’un effondrement moral mondial

On a connu des guerres totales, des embargos, des invasions. Mais même alors, des couloirs humanitaires existaient, des ONG opéraient, des journalistes pouvaient franchir les lignes. À Gaza, rien de tout cela. Un enfermement total, un huis clos tragique. Ni échappatoire, ni témoin. À mesure que les chiffres montent — morts, déplacés, enfants faméliques —, les mots, eux, s’effondrent. « Punition collective », « nettoyage ethnique », « génocide » : des termes qui dérangent, que l’on hésite à prononcer, mais que les faits appellent avec une rigueur implacable.

Et pourtant, ce n’est pas le manque d’informations qui nous piège. C’est leur surabondance. Ce que nous voyons, ce que nous savons, n’est plus démenti. Il est absorbé, digéré, neutralisé par l’habitude. La famine, aujourd’hui, se voit en direct. Elle s’écrit en données, en rapports, en vidéos. Mais elle se heurte à une inertie complice, celle des États, des institutions, et parfois même, de chacun de nous.



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