Par Alanna Clarke, Market Advisor chez Enterprise Ireland (Paris)
Alors que l’Europe cherche à reprendre la main sur son avenir numérique et financier, un partenariat stratégique se dessine à l’ouest du continent. Portée par une politique industrielle volontariste et un écosystème en pleine effervescence, l’Irlande s’impose aujourd’hui comme un catalyseur de l’innovation fintech en Europe. Un positionnement dont la France, puissance bancaire et marché fintech en plein essor, pourrait être l’alliée naturelle.
L’Irlande, catalyseur de l’innovation financière européenne
Depuis plus d’une décennie, l’Irlande investit méthodiquement pour se hisser au rang de hub financier et technologique de premier plan. Cette trajectoire s’appuie sur une stratégie gouvernementale ambitieuse : la feuille de route « Ireland for Finance 2025 », le lancement de l’Innovation Hub de la Banque centrale en 2018, ou encore la National Payments Strategy de 2024 s’inscrivent dans une dynamique concrète et mesurable, qui a permis d’ancrer durablement l’innovation dans le paysage financier local.
Les résultats sont tangibles : plus de 200 entreprises actives dans les secteurs de la fintech, des services financiers ou de domaines connexes, plus de 600 millions d’euros investis en R&D sur cinq ans, et 266 millions d’euros levés dans le seul secteur fintech en 2023. L’écosystème emploie désormais plus de 120 000 personnes, génère 22 milliards d’euros d’exportations et accueille près de 400 institutions financières internationales, dont la moitié des 50 plus grandes banques mondiales. Un dynamisme reconnu par les investisseurs internationaux et soutenu par l’agence publique Enterprise Ireland, troisième investisseur européen dans les startups fintech.
Une opportunité pour la France : alignement réglementaire et convergence stratégique
Le cadre européen, avec l’entrée en vigueur prochaine des réglementations MiCA (Markets in Crypto-Assets) et DORA (Digital Operational Resilience Act), crée une fenêtre d’opportunité unique pour renforcer la coopération entre pays membres. La France et l’Irlande, déjà alignées sur les grands principes de supervision, partagent également une ambition commune : bâtir une finance numérique européenne plus agile, plus sécurisée, plus résiliente.
La France bénéficie d’un marché profond, d’une forte tradition bancaire et d’un réseau d’acteurs du commerce en pleine transition digitale. C’est un terrain idéal pour l’implantation et l’expérimentation de solutions fintech étrangères. L’Irlande, quant à elle, dispose d’un savoir-faire reconnu dans la conformité réglementaire, l’identité numérique, les paiements B2B ou encore l’intégration des critères ESG dans les process financiers.
Face aux défis transversaux que sont la scalabilité des infrastructures, la lutte contre la cybercriminalité, l’intégration de l’IA et la pression réglementaire croissante, l’Europe a tout à gagner à encourager des coopérations bilatérales. La relation franco-irlandaise peut incarner cette ambition. Elle mérite d’être consolidée par des partenariats entre institutions financières, plateformes technologiques et pouvoirs publics.
Des fintechs irlandaises déjà à l’œuvre sur le marché français
Plusieurs fintechs irlandaises ont déjà posé les bases d’une présence solide en France, illustrant la pertinence de cet écosystème face aux enjeux spécifiques du marché local.
C’est le cas de Stripe, fondée par les entrepreneurs irlandais Patrick et John Collison, aujourd’hui leader mondial de la fintech dont les sièges sont situés en Irlande et aux États-Unis. Implantée en France, la plateforme accompagne la croissance numérique des entreprises – des start-ups aux grands groupes – grâce à ses solutions de paiement complètes et ses outils de gestion de revenus automatisés. Elle contribue ainsi à accélérer la transformation digitale du tissu économique français, tout en garantissant une expérience fluide et sécurisée aux utilisateurs finaux.
Outre Stripe, de nombreuses fintechs irlandaises enregistrent de solides performances sur le marché français. Parmi elles, TransferMate, spécialiste des paiements B2B internationaux, qui propose des solutions rapides, transparentes et économiquement avantageuses pour les entreprises opérant à l’échelle mondiale. Dans le domaine du commerce, Prommt facilite les paiements à distance grâce à une technologie sécurisée et adaptable aux nouveaux comportements d’achat, essentiels dans un contexte de digitalisation accélérée du retail.
CleverCards, quant à elle, repense la gestion des cartes et des dépenses professionnelles, en offrant aux entreprises une meilleure maîtrise de leurs flux financiers. Sur le front de la régulation, des acteurs comme AQMetrics et Corlyticsapportent des réponses technologiques avancées aux défis croissants de conformité réglementaire, particulièrement pertinents à l’heure de la montée en puissance des cadres européens comme MiCA ou DORA. En matière de cybersécurité et d’identité numérique, Daon propose des solutions biométriques robustes, devenues indispensables pour lutter contre la fraude en ligne.
Enfin, Fexco, avec sa plateforme PACE (Platform for Analysing Carbon Emissions), aide les acteurs financiers à intégrer les critères ESG en mesurant les émissions carbones du secteur aérien, notamment les émissions Scope 3. Grâce à des données de vol en temps réel et des modèles avancés, PACE facilite la conformité aux réglementations européennes comme la CSRD et soutient les stratégies Net Zéro.
Ensemble, ces entreprises illustrent la capacité de l’Irlande à produire des solutions concrètes, immédiatement déployables, qui répondent aux besoins stratégiques des acteurs français de la finance.
Une souveraineté numérique européenne passe par la coopération
La transition numérique de la finance européenne ne pourra se faire sans alliances. L’Irlande ne se positionne pas comme un compétiteur, mais comme un partenaire stratégique. Pour la France, l’enjeu n’est pas seulement d’intégrer des solutions innovantes, mais de participer activement à la structuration d’un espace fintech européen souverain, interopérable et compétitif face aux géants américains ou asiatiques.
Dans un contexte géopolitique incertain, et alors que les États-Unis et la Chine accélèrent leurs investissements dans les technologies financières, l’Europe a besoin de projets communs. La coopération franco-irlandaise a le potentiel de devenir un véritable laboratoire d’innovation pour la finance européenne.