Le 10 septembre marquera-t-il le début d’une fronde sociale d’ampleur ? Autour du mot d’ordre « bloquons tout », des collectifs locaux se préparent depuis plusieurs semaines à une mobilisation nationale contre le budget présenté par François Bayrou, jugé austéritaire. Sur les réseaux sociaux, près de 8 000 personnes échangent via le canal Telegram « Indignons-nous », où se côtoient anciens Gilets jaunes, militants de gauche, sympathisants d’extrême droite et simples citoyens en colère. Le mouvement, à la fois diffus et protéiforme, intrigue autant qu’il inquiète les formations politiques, contraintes de définir une position face à une mobilisation dont l’ampleur reste incertaine.
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Les premiers à franchir le pas ont été les Insoumis. Dans La Tribune Dimanche, Jean-Luc Mélenchon a appelé ses soutiens à « se mettre au service des collectifs locaux » et à « tout faire pour la réussite de la mobilisation ». Le mouvement entend faire de ce rendez-vous populaire un levier pour accentuer la pression sur l’exécutif, déjà fragilisé par un budget contesté qui prévoit gel des retraites, suppression de jours fériés et coupes dans la santé. Pour LFI, le 10 septembre doit être un prolongement des initiatives de censure parlementaire et une démonstration de force sociale.
Les Écologistes ont emboîté le pas, mais en exprimant des réserves. Marine Tondelier a estimé dans Libération que « l’avenir du pays » se jouerait dans les mobilisations de rentrée, tout en alertant contre une récupération partisane. Elle craint une « compétition de drapeaux » entre partis qui viendrait brouiller le sens de la mobilisation et mettre mal à l’aise des manifestants désireux de garder leur indépendance vis-à-vis des formations politiques.
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Le Parti communiste a opté pour un soutien plus clair. Léon Deffontaines, son porte-parole, a affirmé auprès de l’AFP que le PCF participerait à « l’ensemble des mobilisations contre le projet Bayrou, le 10 septembre compris ». Le Parti socialiste, lui, reste plus en retrait. Chloé Ridel, eurodéputée et porte-parole du PS, a reconnu que les « motivations et modes opératoires [étaient] assez flous », tout en soulignant la légitimité de l’exaspération sociale. Sarah Kerrich-Bernard a insisté sur la nécessité de maintenir une distance avec l’extrême droite, initialement proche de certains mots d’ordre mais désormais en retrait. Pour les socialistes, l’enjeu est de respecter l’autonomie du mouvement tout en gardant la possibilité de traduire certaines revendications au Parlement.
Le Rassemblement national, après une phase d’hésitation, a finalement pris ses distances. La députée Edwige Diaz a dénoncé sur X une « récupération politicienne par l’extrême gauche » qui condamnerait la mobilisation à être « parasitée par des hordes de casseurs et de militants pro-Hamas ». Le porte-parole du parti, Matthieu Valet, a exprimé sa crainte d’un « rassemblement d’enfer ». Dans les rangs du RN, certains élus soulignent que leurs électeurs n’ont pas vocation à défiler aux côtés de militants LFI ou antifas, sur des revendications jugées incompatibles avec leur ligne souverainiste et anti-impôts. Ni Marine Le Pen ni Jordan Bardella n’ont toutefois pris la parole publiquement, signe d’une prudence calculée.
Une stratégie de prudence
Cette prudence traduit le souvenir encore vif du précédent des Gilets jaunes. Comme en 2018, la mobilisation du 10 septembre est née en dehors des appareils partisans et syndicaux, portée par des réseaux sociaux où coexistent des revendications sociales, fiscales et politiques parfois contradictoires. Les partis savent qu’une récupération trop visible pourrait susciter la méfiance des manifestants, tandis qu’un désengagement total les exposerait à paraître sourds à une colère populaire.
À l’approche du 10 septembre, chaque camp avance donc avec circonspection. LFI assume le pari d’un engagement sans réserve, les écologistes et les communistes apportent un soutien nuancé, le PS observe à distance, et le RN choisit la prudence, oscillant entre critique et attente. L’ampleur de la mobilisation dira si ces stratégies permettent de capter une colère diffuse ou si, à l’inverse, le mouvement restera un épisode ponctuel de contestation citoyenne.