L’annonce a fait son effet le mardi 8 juillet dans le petit monde de la tech : SiPearl – le spécialiste français des semiconducteurs – a finalisé sa levée de fonds de 32 millions d’euros pour soutenir la production de ses microprocesseurs très haute performance et basse consommation destinés au super calcul et à l’IA, dans une enveloppe totale de 130 millions. Une très bonne nouvelle pour l’écosystème informatique français dans son ensemble. Ces nouveaux fonds sont destinés à accompagner la phase d’industrialisation de Rhea1, le premier microprocesseur développé par SiPearl, composé de plus de 61 milliards de transistors. Ce microprocesseur, dont la production commence dans une fonderie de TSMC, sera un atout de taille dans la grande bataille de l’intelligence artificielle que se livrent l’Europe, les États-Unis et plusieurs pays asiatiques. Il devrait être commercialisé dès 2026.
La France choie ses start-up
L’exemple de SiPearl n’est pas isolé. La France des start-ups veut s’imposer comme une référence mondiale, dans le sillage de la feuille de route édictée par Emmanuel Macron à son entrée à l’Élysée en 2017. Huit ans plus tard, la grande famille des startupers s’est d’ailleurs retrouvée à Paris, en marge d’édition 2025 de Vivatech, à l’invitation du président de la République. Le gratin des entreprises françaises innovantes a été reçu au palais présidentiel pour un dîner très privé, deux jours avant l’ouverture de la grande messe de la Tech le 11 juin dernier à la Porte de Versailles. Plusieurs domaines étaient représentés comme la santé (Alan), la cybersécurité (GitGuardian, et Sekoia.io), l’informatique quantique (Alice & Bob, Pascal), l’exploration spatiale (The Exploration Company) ou encore les batteries électriques (Verkor). Mais la filière reine, cette année, était bien évidemment l’intelligence artificielle (représentée par Dataiku, H Company, Mistral AI et Nolej).
Depuis 2017, la filière de la tech française a en effet retroussé ses manches. Et a investi, en comptant à la fois sur le soutien des pouvoirs publics et sur la mobilisation des fonds d’investissement privés. À long terme, l’objectif de ces entreprises de pointe est de façonner l’économie de demain et même de créer des synergies entre leurs différents savoir-faire. Cette promesse de transformation s’applique à la fois au niveau des services proposés aux utilisateurs et au niveau de la technologie qui sera embarquée demain dans les objets du quotidien. Dans le domaine de la santé par exemple, la start-up Alan – qui propose une assurance 100% en ligne – est en train de révolutionner une pratique semblant pourtant figée dans le temps. « Notre objectif est d’être le partenaire santé de confiance des entreprises et des particuliers, explique Jean-Charles Samuelian-Werve, PDG et cofondateur d’Alan. Révolutionner les soins de santé est un projet très prometteur. Je pense que c’est un cheminement qui s’étend sur des décennies. Nous nous projetons donc dans les 20, 30 ou 100 prochaines années ! Nous voulons être une entreprise historique qui change la façon dont nous interagissons avec la santé. » Et pour y arriver, Alan s’est évidemment tourné vers l’intelligence artificielle.
Pour cela, la start-up Alan s’est logiquement liée à une autre start-up française, Mistral AI, dont Jean-Charles Samuelian-Werve est d’ailleurs l’un des conseillers. Avec une valorisation à 6 milliards de dollars, Mistral AI est sans conteste le leader européen travaillant sur les modèles fondamentaux de l’intelligence artificielle. Mistral vient par exemple de lancer en février dernier son outil conversationnel Le Chat, équivalent européen de ChatGPT, dont plusieurs services publics se doteront, comme France Travail. « L’Europe a les meilleurs talents du monde en IA et, avec un bon produit, vous levez des capitaux considérables, assure Arthur Mensch, cofondateur & CEO de Mistral AI. Il y a des investissements étrangers en Europe dont il faut se réjouir ! C’est en ramenant une soixantaine de scientifiques des États-Unis en leur expliquant que nous avions la meilleure équipe du monde que nous avons réussi à créer Mistral AI. Nous sommes plus efficaces, plus frugaux, plus créatifs, plus rapides, et nous faisons moins de politique. »
En coulisse, la bataille des serveurs et des microprocesseurs
Derrière ce type de services se cache une double bataille technologique : celles des serveurs et celle des microprocesseurs haute performance. Pour faire tourner cette intelligence artificielle 100% européenne, il faut bien évidemment des serveurs aux capacités hors norme. Mistral AI a annoncé sa volonté d’installer un « cluster » en Essonne en investissant plusieurs milliards d’euros. En attendant, la guerre des serveurs bat déjà son plein et un acteur français est en première ligne : OVH Cloud. PME familiale devenue multinationale, cette start-up de Roubaix compte aujourd’hui 43 datacenters dans le monde, et a réalisé près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2024. « Plus besoin de traverser l’Atlantique pour découvrir la prochaine révolution technologique. Elle se joue en France », promet Octave Klaba, fondateur et président d’OVH Cloud.
Mais pour cela, il faudra remporter la bataille de la souveraineté au cœur des machines. Car sans composant 100% français ou européen, l’industrie de la deeptech restera dépendante d’acteurs américains ou asiatiques. En effet, c’est bien là que le bât blesse : la filière des microprocesseurs et des semiconducteurs est devenue le talon d’Achille de l’industrie européenne. Pour que le fossé technologique qui sépare désormais l’Europe des États-Unis et de l’Asie puisse se combler ces prochaines années, il est indispensable que les belles promesses de certaines start-ups commencent à se concrétiser. Le microprocesseur Rhea1 conçu par la start-up française SiPearl équipera bientôt Jupiter, l’un des supercalculateurs européens basé en Allemagne, détenu par le consortium EuroHPC et exploité par Forschungszentrum Jülich. Il est également promis à d’autres projets comme Aero, Higher, OpenCUBE et Riser afin de donner naissance à un cloud européen souverain. « Pour une jeune entreprise comme SiPearl, la phase de conception de la première puce demande beaucoup de temps, car nous devons réunir une équipe de très haut niveau et peaufiner le processus, explique Philippe Notton, PDG de SiPearl. Il est vrai que cette phase est coûteuse et le dernier tour de table est une bonne nouvelle. SiPearl est un élément clé pour atteindre une souveraineté complète, ce qui nécessite des accélérateurs, des logiciels et des data centers. »
Tout le spectre doit ainsi être couvert afin d’assurer une véritable souveraineté à l’échelle française ou au moins européenne. Un défi qui n’effraie pas une plus jeune start-up encore, NcodiN, fondée en 2023 et qui entend remplacer les interconnexions électroniques standard par des liens optiques grâce au plus petit laser au monde intégré sur silicium. « Nous avons fabriqué une puce de communication, avec un système d’autoroute pour connecter l’ensemble des composants entre eux dans un processeur. La clé de notre réussite, c’est que nous avons développé un composant très petit, intégré de manière très dense, qui permet de convertir le signal électrique en lumière et inversement », explique Francesco Manegatti, co-fondateur de NcodiN. Ce dernier estime que « Notre solution permettra de diminuer de plusieurs tonnes les émissions de CO2 des centres de données. Ce n’est pas pour tout de suite, mais elle aura un impact fort ». Il faudra attendre 2029 avant une éventuelle commercialisation en masse confirmant ainsi qu’il s’agit d’un secteur qui exige du temps et de l’argent.
Si le programme gouvernemental France 2030 – doté de 54 milliards d’euros pour la tech – a déjà porté ses fruits, comme le montre l’exemple de SiPearl qu’il a soutenu, l’ambition et les moyens doivent être visibles à l’échelle européenne. Sortir définitivement de la dépendance technologique et regarder les yeux dans les yeux des géants américains comme Nvidia ou Meta, nécessitent des efforts dans la durée. Cela signifie soutenir l’investissement sans discontinuer et pourquoi pas répondre de manière très forte avec l’instrument anti-coercition à la guerre commerciale voulue par Donald Trump. Un moyen pour l’Europe de répondre concrètement aux attaques lancées par l’administration Trump tout en protégeant les pépites européennes. Sans quoi les espoirs d’aujourd’hui risquent de rester sans lendemain.