Luxe : Kering peut-il encore sauver Gucci ?

Chiffres en chute libre, tensions sociales et direction incertaine : Gucci affronte une tempête sans précédent. Kering joue gros pour sauver sa marque phare du naufrage.

Gucci traverse la crise la plus grave de son histoire récente. Les résultats du premier semestre 2025 dressent un tableau inquiétant : le chiffre d’affaires a reculé de 26 %, à 3 milliards d’euros, soit un milliard de moins qu’en 2024. La rentabilité s’effondre également, avec une marge opérationnelle tombée à 16 %, en recul de 8,7 points sur un an.

La chute est spectaculaire. Au premier trimestre 2025, le chiffre d’affaires de Gucci s’est établi à 1,6 milliard d’euros, en repli de 25 % par rapport à l’an dernier. Sur l’ensemble du semestre, il atteint 3 milliards d’euros, soit une baisse de 26 %. La marge opérationnelle, réduite à 16 %, recule de 8,7 points en un an. Le résultat opérationnel s’effondre lui aussi, tombant à 486 millions d’euros, en baisse de 52 %.

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Gucci, qui pèse encore près de la moitié du chiffre d’affaires de Kering et les deux tiers de sa rentabilité opérationnelle, entraîne l’ensemble du groupe dans sa chute. Le bénéfice net de Kering a ainsi reculé de 46 % au premier semestre, tombant à 474 millions d’euros contre 878 millions un an plus tôt.

Instabilité créative

Depuis 2022, Gucci souffre d’une instabilité créative qui fragilise sa crédibilité. Le départ d’Alessandro Michele en novembre 2022 a marqué la fin d’une période de croissance exceptionnelle. Son successeur, Sabato de Sarno, n’a pas réussi à relancer la marque avec son esthétique minimaliste et a quitté ses fonctions début 2025 après cinq collections jugées trop sages pour enrayer le déclin.

La situation est aggravée par une dépendance excessive au marché asiatique et à une clientèle dite aspirationnelle, plus jeune et plus sensible aux aléas économiques. Les ventes reculent partout : -25 % en Asie-Pacifique au premier trimestre, -19 % au premier semestre ; -17 % en Europe de l’Ouest ; -10 % en Amérique du Nord ; -29 % au Japon. En Chine, le marché du luxe a chuté de 18 à 20 % en 2024 et devrait rester stable en 2025, sans reprise notable.

À ces difficultés commerciales s’ajoute un climat social tendu. En août 2025, près d’un millier d’employés italiens se sont mis en grève, dénonçant le non-versement de prestations sociales prévues par un accord d’entreprise. Déjà en 2023, le transfert du bureau créatif de Rome à Milan avait provoqué un mouvement de contestation, les syndicats parlant de « licenciement collectif déguisé ».

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Kering engage une restructuration globale

Pour enrayer la spirale, Kering a engagé une série de mesures. Sur le plan créatif, le groupe a nommé Demna, ex-directeur artistique de Balenciaga, à la tête de Gucci en juillet 2025. Connu pour son esthétique radicale, il doit incarner la rupture. Son premier défilé n’aura toutefois lieu qu’en mars 2026, laissant la maison dans une période de transition prolongée.

Sur le plan commercial, Gucci poursuit sa stratégie de montée en gamme lancée en 2019. Le groupe cherche à réduire sa dépendance aux segments les plus volatils en fermant 25 boutiques au premier trimestre, ramenant le total à 1 788 points de vente, et en développant de nouveaux concepts retail comme « Endless Narratives », déployé dans 500 magasins. Le sac Giglio illustre cette stratégie avec un démarrage jugé prometteur.

Côté gouvernance, un tournant a été pris en juin 2025 avec la nomination de Luca de Meo, ex-patron de Renault, à la direction générale à compter de septembre. François-Henri Pinault conserve la présidence, mais confie l’exécutif à un dirigeant reconnu pour ses restructurations industrielles. Cette décision vise à renforcer le pilotage stratégique, même si l’expérience de De Meo dans l’automobile pose la question de son adaptation aux codes du luxe.

Enfin, Kering a lancé une restructuration immobilière concernant 4 milliards d’euros de biens à Milan, New York et Paris, afin d’optimiser sa structure financière et de réduire une dette nette de 11 milliards d’euros. Des fermetures de points de vente et une rationalisation des coûts complètent ce plan d’urgence.

Une transition à haut risque

Certains signaux laissent entrevoir une possible relance. Les nouveaux sacs, la campagne Eyewear 2025 ou la montée en gamme témoignent d’un repositionnement plus sélectif. L’arrivée de Demna suscite de fortes attentes sur le plan créatif, et le duo qu’il formera avec Luca de Meo incarne une volonté de rupture nette.

Mais les risques restent importants. La transition créative est longue, le changement de style brutal, et le contexte économique mondial peu favorable. La dépendance au marché chinois, la fragilisation de la clientèle aspirationnelle et les tensions sociales en Italie pèsent sur la mise en œuvre des plans de redressement.

Gucci conserve des atouts majeurs : notoriété mondiale, héritage créatif, réseau de distribution prestigieux. La nouvelle gouvernance et le pari Demna montrent la volonté de redresser la marque. Mais la fenêtre de tir est étroite. Comme le souligne Eric Briones, expert du luxe, « un groupe qui est dépendant à ce point d’une maison, c’est quelque chose de dangereux ».

Les 18 prochains mois seront décisifs. Le salut de Gucci dépendra de sa capacité à concilier innovation créative, cohérence stratégique et exécution opérationnelle. Rien n’est acquis : dans le luxe, les erreurs se paient cher et la concurrence ne laisse aucun répit.



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