LVMH, Kering : le luxe français au bord du gouffre

Les fleurons du luxe français peuvent-ils rebondir après une année noire ? Focus sur les stratégies de LVMH, Kering et Hermès face à la tempête.

Après quinze années d’ascension ininterrompue, marquées par une croissance insolente et des records en cascade, l’industrie française du luxe connaît une inflexion brutale. LVMH, Kering, Hermès : les fleurons tricolores, longtemps perçus comme inébranlables, vacillent. À la faveur d’un contexte économique mondial dégradé et de mutations sociétales profondes, le secteur semble confronté à sa première véritable crise de croissance.

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« Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas annoncer des résultats records », avait déjà lancé Bernard Arnault, patron du groupe LVMH, lors de la présentation des résultats 2024. Une phrase inhabituelle qui résonnait comme un signal d’alarme : le luxe français, pilier stratégique de l’économie nationale, découvre sa propre vulnérabilité.

LVMH et Kering : performances dégradées en 2025

Premier signal fort de la dégradation du climat, les résultats de LVMH marquent un net repli. En 2024, le bénéfice net du groupe a chuté de 17 %, pour s’établir à 12,6 milliards d’euros. Une tendance qui s’aggrave en 2025 : sur le premier semestre, le chiffre d’affaires recule de 3 %, à 39,8 milliards d’euros, et le résultat opérationnel plonge de 15 %.

Si Bernard Arnault évoque « une bonne résistance dans un contexte incertain », la réalité est moins rassurante. Le segment Mode et Maroquinerie, qui représente 75 % du résultat opérationnel, accuse une baisse de 7 %. LVMH, habitué à des croissances à deux chiffres depuis deux décennies, voit sa dynamique historique remise en question.

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La situation est encore plus critique pour Kering. Le groupe dirigé par François-Henri Pinault traverse une crise d’une ampleur inédite : au premier semestre 2025, les ventes chutent de 15 %, à 7,6 milliards d’euros, tandis que le bénéfice net s’effondre de 46 %, à 474 millions d’euros.

Gucci, la marque-phare du portefeuille, enregistre une baisse de 25 % de ses ventes. Le repositionnement stratégique lancé sous Alessandro Michele n’a pas produit les effets escomptés, et l’instabilité créative postérieure fragilise la cohérence de l’image de marque. « Un groupe qui est dépendant à ce point d’une maison, c’est quelque chose de dangereux », observe Eric Briones, auteur de Luxe et digital. Cette dépendance structurelle expose désormais Kering à une crise existentielle.

Dans le même temps, l’endettement du groupe s’est accru, conséquence d’une politique d’acquisitions ambitieuse engagée à contretemps. Les marchés ont réagi durement : le titre Kering a perdu 60 % de sa valeur en deux ans, et les agences de notation menacent d’abaisser une nouvelle fois la note de crédit.

Hermès maintient sa croissance malgré la tempête

Dans un contexte globalement morose, Hermès fait figure d’exception. Le groupe a enregistré une croissance de 8 % au premier semestre 2025, avec un chiffre d’affaires atteignant 8 milliards d’euros. Son cœur de métier, la maroquinerie-sellerie, progresse de 12,4 %.

Toutefois, même Hermès n’échappe pas entièrement aux turbulences. Le bénéfice net recule de 5 %, en partie à cause d’une contribution exceptionnelle demandée aux grandes entreprises. Par ailleurs, le ralentissement sensible de la croissance en Chine laisse entrevoir les limites d’un positionnement fondé sur l’ultra-luxe.

Chine et États-Unis : des marchés devenus fragiles

Longtemps moteur de la croissance mondiale du luxe, la Chine traverse une période de désengagement progressif. La crise de l’immobilier, les tensions géopolitiques et l’incertitude boursière ont fragilisé la confiance des consommateurs. « Il y a depuis quelque temps une tendance à une clientèle chinoise moins nombreuse qui, elle aussi, thésaurise », explique Axel Dumas.

Le phénomène touche notamment les classes moyennes, qui adoptent une posture d’attentisme. Joëlle de Montgolfier, directrice du pôle luxe chez Bain & Company, y voit l’expression d’un repli face à un environnement anxiogène. Le « luxury shame », cette gêne face à l’ostentation, s’ancre durablement chez les jeunes générations, qui privilégient discrétion et valeurs.

Aux États-Unis, les aléas de la politique commerciale pèsent lourdement sur la consommation haut de gamme. Les tensions tarifaires, couplées à l’incertitude autour de la ligne économique de Donald Trump, ont un impact tangible sur le pouvoir d’achat des classes aisées. Le marché américain, historiquement solide, montre des signes d’essoufflement.

Une transformation urgente pour le luxe français

Face à la saturation du modèle centré sur l’objet, les consommateurs de luxe se tournent de plus en plus vers l’expérientiel. Hôtels ultra-personnalisés, croisières sur-mesure, gastronomie étoilée, jets et yachts privés connaissent une demande soutenue. Le luxe ne s’incarne plus uniquement dans la possession, mais dans l’émotion.

Les jeunes générations imposent de nouvelles normes. Z et Alpha représenteront, à l’horizon 2030, 75 % des clients du luxe. Leur premier achat intervient souvent dès 15 ans, mais leurs attentes sont radicalement différentes : exigence d’authenticité, de personnalisation, d’inclusivité. L’ostentation laisse place à la narration identitaire.

Ce bouleversement se traduit également dans l’explosion du marché de la seconde main. Entre 2017 et 2021, ce segment a progressé de 65 %, pour atteindre 33 milliards d’euros. Cette dynamique bouscule les fondements du luxe traditionnel, longtemps fondé sur l’exclusivité, la nouveauté et la rareté.

Vers une décennie de rupture ?

D’après Bain & Company, 2025 pourrait être la pire année pour le luxe depuis la crise de 2008. Les ventes de produits personnels pourraient reculer de 2 à 5 % dans le scénario central, et jusqu’à -9 % dans le scénario pessimiste. Une rupture marquante après la parenthèse euphorique post-Covid.



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