Longtemps symbole du raffinement automobile britannique, Jaguar traverse la crise la plus profonde de son existence. En 2025, ses modèles ont quasiment disparu des concessions, ses ventes se sont effondrées, son réseau est exsangue. En misant tout sur une renaissance électrique prévue pour 2026, Jaguar a coupé le moteur sans garantir le redémarrage. Entre ambition mal calibrée, stratégie floue et effacement progressif, une question s’impose : la marque prépare-t-elle son retour… ou sa disparition ?
Des ventes en chute libre en Europe et en France
Le premier semestre 2025 marque un point de rupture. En France, Jaguar n’a vendu que 21 voitures neuves. Moins qu’Aston Martin, moins que Ferrari. En Europe, avril tourne à la débâcle : 49 immatriculations seulement, contre près de 2 000 un an plus tôt. Une chute de 97,5 %, vertigineuse, inédite.
Derrière ce trou noir : une décision radicale. Début 2025, Jaguar retire presque toute sa gamme. Plus rien en concession, à part un I-Pace marginal, sans promotion, sans visibilité. En pariant sur une relance en 2026 avec une nouvelle gamme 100 % électrique, la marque a coupé le moteur sans préparer le redémarrage. Le réseau est exsangue, les clients s’égarent, les carnets restent vides.
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Ce naufrage tranche violemment avec la santé apparente de Jaguar Land Rover (JLR). La maison-mère, filiale de Tata Motors depuis 2008, a dégagé près de 3 milliards d’euros de bénéfices nets sur l’exercice 2024-2025. Les Range Rover et Defender se vendent toujours par cargaisons entières.
Mais le ver est dans le fruit. Dès le premier trimestre 2025/2026, la marge opérationnelle du groupe chute à 4 %, le bénéfice avant impôt dévisse de 50 %. Le retrait brutal de Jaguar pèse, trop lourd. La marque, jadis joyau, devient un ballast. Le déséquilibre stratégique s’accentue : JLR devient un vendeur de SUV haut de gamme… sans diversité.
Une stratégie Reimagine aux résultats encore invisibles
Depuis 2021, Jaguar s’est lancée dans une stratégie baptisée « Reimagine ». L’ambition : devenir une référence du luxe électrique, au même titre que Porsche ou Tesla. Mais les délais s’allongent. Le premier modèle, une berline zéro émission, arrive avec huit mois de retard, désormais attendue pour août 2026. Le second véhicule glisse à fin 2027. Derrière ces ajournements : des choix technologiques encore flous, une chaîne d’approvisionnement des batteries encore trop incertaine.
Et puis, il y a le geste esthétique. En novembre 2024, Jaguar dévoile un nouveau logo, une police sans fioritures, une campagne publicitaire sans voiture. Un manifeste visuel, revendiqué comme rupture, qui fait surtout grincer. Le concept car Type 00 – cubique, bariolé, volontairement provocateur – achève de dérouter les fans. La presse parle de stratégie « hors-sol », les réseaux sociaux se moquent, les passionnés s’éloignent. Le lien avec le passé est rompu, mais rien n’a encore remplacé ce qu’était Jaguar.
Crise de gouvernance
Le contexte n’aide pas. Au printemps 2025, Washington impose une taxe de 27,5 % sur les véhicules britanniques. En trois mois, les ventes de JLR aux États-Unis s’effondrent : 7 600 unités seulement, contre 23 500 un an plus tôt. Le taux redescend à 10 % en juillet, mais la machine est grippée.
Dans la foulée, 500 postes sont supprimés, principalement autour de Jaguar. Les usines de Coventry et Castle Bromwich s’arrêtent. Leur avenir est suspendu à d’hypothétiques soutiens publics. Tata hésite à investir dans une gigafactory au Royaume-Uni. Le doute s’installe, profond, sur l’ancrage industriel de la marque.
Le 30 juillet 2025, Adrian Mardell quitte la direction de JLR. Fidèle du groupe, il avait été l’architecte de Reimagine, le porteur d’une vision. Son départ ouvre une zone de turbulence. À sa place, PB Balaji, ex-directeur financier de Tata Motors. Un profil financier, méthodique, mais parachuté dans un cockpit en feu. Il hérite d’un groupe rentable mais sous tension, d’une marque Jaguar réduite à l’abstraction.
Le défi est monumental. Réussir là où les retards et les paris esthétiques ont brouillé la carte. Relancer l’image, regagner la confiance du réseau, affronter les géants de l’électrique premium – avec un ticket d’entrée fixé à 150 000 €. Un sommet à gravir, à l’heure où les vieilles icônes ne font plus recette.