La start-up Fairmat change l’avenir du recyclage

Il est des révolutions dont les médias perlent peu mais dont les effets pourraient être colossaux. C’est le cas de Fairmat. Créée en 2020, cette startup française est parvenue à industrialiser ce que beaucoup considéraient comme une impasse technique : le recyclage de la fibre de carbone. Un matériau miracle — léger, résistant, durable — mais aussi un cauchemar environnemental en fin de vie. Fairmat ne promet pas un monde meilleur, elle construit déjà les lignes de production d’une industrie repensée, qui conjugue circularité, compétitivité et souveraineté.

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Le piège du matériau parfait

Depuis des décennies, la fibre de carbone est célébrée dans les industries les plus exigeantes : aéronautique, énergies renouvelables, sport de haut niveau. Mais derrière l’apparente perfection du matériau se cache un vice fondamental : son impossibilité à être recyclé proprement. Aujourd’hui encore, plus de 95 % des fibres en fin de vie sont brûlées ou enfouies. En d’autres termes, un matériau conçu pour durer devient un déchet sans avenir. Et ce paradoxe illustre, crûment, les limites d’un modèle industriel linéaire, fondé sur l’extraction, la transformation, puis l’élimination.

Derrière cette défaillance se profilent des enjeux majeurs : dépendance aux matières premières, vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement, souveraineté industrielle. L’Europe, notamment, n’a plus le luxe de jeter.

Une idée simple, une exécution complexe

Face à ce défi, Benjamin Saada a fait le pari de ne pas traiter la matière, mais de la repenser. Cet ingénieur, passé par Expliseat, a fondé Fairmat avec une intuition : il est possible de transformer les déchets composites en ressource industrielle viable, sans passer par le feu ni la chimie. Une idée simple, mais à l’exécution redoutablement complexe.

Le cœur du procédé Fairmat est un recyclage mécanique, robotisé, orchestré par l’intelligence artificielle. À Bouguenais, près de Nantes, d’anciens bras robotisés de l’aéronautique découpent à froid les matériaux composites en milliers de « chips » millimétriques. Résultat : 95 % des propriétés mécaniques de la fibre de carbone sont conservées, sans la dissocier de sa matrice plastique. Pas d’odeur, pas de fumée, pas de pertes.

Et surtout, une capacité industrielle déjà au rendez-vous. Grâce à une automatisation poussée et une traçabilité numérique, chaque site Fairmat peut traiter jusqu’à 50 000 chips à l’heure. Ce n’est pas un prototype : c’est une ligne de production.

La boucle enfin bouclée

Mais Fairmat ne s’est pas arrêtée là. En 2025, l’entreprise a dévoilé une technologie de rupture : Infinity Recycling. Le principe ? Utiliser un traitement au plasma froid — breveté — pour récupérer la fibre de carbone dans un état quasi vierge. Sans combustion, sans solvants, sans dégradation. Le rêve des ingénieurs depuis trente ans : une boucle de recyclage fermée, enfin opérationnelle.

Contrairement aux approches classiques (pyrolyse, solvolyse), Infinity Recycling ne détruit rien. Elle libère. Et permet une réutilisation illimitée de la fibre, sans perte de performance. À ce jour, aucun autre acteur industriel ne peut revendiquer une telle avancée.

Ce qui distingue Fairmat dans la jungle des startups, c’est sa capacité à passer à l’échelle. Le site de Bouguenais, racheté à l’américain Hexcel, est un démonstrateur grandeur nature. Huit anciens salariés y ont été réembauchés. Une façon concrète de lier innovation et continuité industrielle. Une deuxième usine a ouvert à Salt Lake City, au cœur du pôle carbone américain. Objectif : répliquer le modèle, bâtir un réseau international de production interconnecté. À l’horizon 2027, Fairmat vise un triplement de ses capacités actuelles (2 900 tonnes par an), appuyé sur cinq brevets majeurs.

Quand l’écologie devient rentable

Mais c’est peut-être sur le terrain économique que Fairmat frappe le plus fort. Là où tant d’initiatives “durables” peinent à dépasser le fameux green premium, la startup affiche des prix inférieurs à ceux du composite vierge ou de l’aluminium. Autrement dit, la circularité n’est plus une contrainte : elle devient un avantage concurrentiel.

L’empreinte carbone du matériau recyclé ? Trois à quatre fois inférieure à celle d’un composite neuf. Le recours à du plastique vierge ? Inférieur à 15 %. Et les propriétés mécaniques ? Maintenues. Une performance complète. Sans surcoût.

Les clients ne s’y trompent pas. Dans le sport, Decathlon intègre déjà les chips Fairmat dans ses raquettes de padel KUIKMA. Le fabricant DPS les utilise dans ses skis. Bauer en équipe ses crosses de hockey. Côté industriel, des noms comme Hexcel, Siemens Gamesa, Dassault Aviation, Exel Composites ou Withings ont déjà adopté les composants Fairmat.

Une ambition soutenue par l’écosystème

Fairmat n’avance pas seule. Depuis sa création, elle a levé près de 100 millions d’euros, dont une série B de 51,5 millions au printemps 2025. Les investisseurs suivent, publics (BEI, Bpifrance) comme privés. Et pour cause : le marché mondial des composites durables pourrait dépasser 600 milliards de dollars d’ici 2033. La circularité n’est plus une utopie. C’est une stratégie industrielle.

Au fond, Fairmat coche toutes les cases : innovation technologique, industrialisation à grande échelle, ancrage local, impact environnemental, compétitivité économique. Mieux : elle réembauche, transforme, exporte, tout en réduisant l’empreinte carbone.



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