À quoi joue Patrick Drahi ?

Le mystère Patrick Drahi : malgré la dette d’Altice, sa fortune privée reste intacte. Une stratégie opaque mais redoutablement efficace.

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Près de 60 milliards d’euros de dettes pèsent encore sur Altice. Pourtant, son fondateur, Patrick Drahi, continue de dégager des liquidités et de consolider un patrimoine personnel méticuleusement protégé des turbulences. Dernier épisode en date : la cession silencieuse, mais stratégiquement parlante, de l’immeuble Quadrans Est à Paris. Une transaction effectuée « sous les radars » qui en dit long sur une mécanique où l’endettement massif du groupe ne fait pas obstacle à l’enrichissement privé du propriétaire.

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Quadrans Est : une cession immobilière hors marché de 290 M€

Début de l’été 2025. Quadrans Est, le plus vaste bâtiment d’un complexe immobilier situé dans le 15e arrondissement de Paris, change discrètement de mains. Une transaction conclue « off market » pour 290 millions d’euros. L’acheteur : Merit, le family office des Saadé, également propriétaires de CMA CGM. La presse n’en souffle mot. Et pourtant, quelques mois plus tôt, les mêmes Saadé avaient racheté à Drahi BFM TV et RMC pour 1,55 milliard d’euros. Les événements s’enchaînent, mais le scénario reste le même : céder les actifs, contenir la dette, garder le pouvoir. Tout cela dans un contexte singulier : celui de la plus vaste restructuration de dette jamais opérée sur le Vieux Continent.

Drahi, endettements et montages

Pour comprendre le sens du geste, il faut revenir en 2016. Drahi rachète alors l’ensemble Quadrans pour 846 millions d’euros auprès d’Axa IM Alts, dans une période bénie des taux bas et de frénésie LBO. Le site, surnommé le « Pentagone des médias », héberge alors les sièges de BFM TV, RMC et SFR, trois entités sous contrôle Altice. Le montage est connu : le propriétaire – Drahi en personne – encaisse les loyers versés par ses propres sociétés. Autrement dit, les filiales surendettées financent le remboursement du crédit immobilier pendant que le patrimoine personnel, lui, se valorise en silence.

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En 2018, des investisseurs institutionnels (Præmia REIM, Edmond de Rothschild REIM) entrent dans le véhicule de détention du site, valorisé à près de 900 millions d’euros. Le schéma s’affine : effet de levier, flux locatifs stables, capitalisation immobilière. Les entités opérationnelles paient. Le propriétaire privé encaisse.

Février 2025 : tournant. Altice boucle une restructuration colossale. Résultat : 8,6 milliards d’euros de dette effacés, contre 45 % du capital d’Altice France cédé aux créanciers. La dette passe de 24,1 à 15,5 milliards. Soulagement ? Relatif. Les taux remontent à 7,125 %, contre 5,7 % auparavant. Les maturités, elles, s’étendent jusqu’en 2033. Les investisseurs obligataires sont dilués, mais le système tient – pour l’instant.

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Et Drahi ? Il garde les rênes : 55 % du capital via des actions à droits de vote multiples, renforcées par des pactes d’actionnaires verrouillés. La dilution ne le concerne pas. Les ventes d’actifs se multiplient, mais l’architecte du système conserve le compas. Les créanciers prennent ce qu’on leur donne. Le capitaine reste à la barre.

Œuvres d’art, offshore, jet privé et actifs éclatés

Dans ce décor de désendettement accéléré, la fortune personnelle de Patrick Drahi ne vacille pas. Elle se consolide même. Environ un milliard d’euros d’actifs, hors éléments non cotés et collection artistique. Sa maison de ventes aux enchères, Sotheby’s, acquise en 2019, a été recapitalisée à hauteur d’un milliard de dollars en août 2024 par le fonds souverain ADQ d’Abu Dhabi. Officiellement, pour réduire le levier financier. Officieusement, pour sécuriser le contrôle. Mission accomplie.

Côté art, le coffre est blindé. Plus de 200 œuvres majeures (Picasso, Magritte, Chagall, Modigliani, Bacon) sont logées dans deux sociétés offshore immatriculées à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Opération discrète réalisée en 2021. Effet fiscal : plusieurs millions d’euros économisés, loin des regards et des juridictions européennes.

Et l’immobilier ? Éclaté. Tel-Aviv, New York, Genève, les Caraïbes. À Nevis, Drahi a même immatriculé son jet privé – un Bombardier Global 7500 estimé à plus de 60 millions d’euros – aujourd’hui au cœur d’une enquête douanière sur une possible évasion de TVA.

La vente de Quadrans Est s’inscrit dans une logique constante : transformer les actifs en liquidités tout en gardant le contrôle stratégique. Le séquençage est lisible : d’abord les chaînes, puis les murs. Et demain ? SFR est déjà sur la table. À la mi-juin 2025, Bouygues et Free ont reçu les chiffres de l’opérateur. Drahi espère en tirer 23 milliards d’euros. L’avenir dira si le prix sera atteint.

Mais l’essentiel est ailleurs. C’est Drahi qui décide : du timing, du périmètre, des modalités. Il vend ce qu’il veut, quand il veut. Il sécurise du cash privé pendant que les dettes sont renégociées, restructurées ou – parfois – tout simplement abandonnées.

Dette mutualisée, fortune individuelle : un modèle assumé

Patrick Drahi n’a jamais mélangé les dettes du groupe avec sa fortune personnelle. Il a érigé une muraille – juridique, financière, territoriale – entre les deux. Elle lui permet de négocier sans céder, de vendre sans souffrir, de restructurer sans se déposséder.

C’est une leçon de capitalisme financiarisé. Celui où le risque est mutualisé, mais la richesse concentrée. Où la dette devient un outil de manœuvre, pas une contrainte. Où les actifs changent de main, mais pas le pouvoir. Un jeu d’équilibre que peu maîtrisent avec autant de précision. Et dans lequel, même quand l’empire tangue, son maître ne perd jamais vraiment l’équilibre.



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