Médicaments coupe-faim : l’effondrement de l’empire Novo Nordisk

Entre chute boursière, scandale sanitaire et guerre pharmaceutique, Novo Nordisk voit son modèle vaciller. Enquête sur une dégringolade.

C’était l’histoire d’une étoile filante devenue soleil, avant de retomber en météorite. En août 2024, Novo Nordisk trônait au sommet du capitalisme européen. Un an plus tard, le laboratoire danois, icône involontaire d’un capitalisme pharmaceutique ultraconcentré, vacille de toutes parts.
Concurrent américain plus rapide, revers clinique, tensions éthiques, pénuries de médicaments essentiels : l’entreprise symbole de la médicalisation de la minceur subit une dégringolade qui dit beaucoup plus que son simple nom. Une histoire danoise qui parle de la finance mondiale, de la médecine industrielle, et de la fragilité des récits.

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Ozempic et Wegovy, deux médicaments devenus des phénomènes

Ce que l’on a vécu en 2024 tient de l’hystérie collective des marchés. Novo Nordisk, discret fabricant de traitements contre le diabète, devient subitement l’entreprise la mieux valorisée d’Europe. Elle détrône LVMH, emblème de la rente du luxe, grâce à Ozempic et Wegovy — deux médicaments anti-obésité transformés en icônes culturelles autant que cliniques. La recette est puissante : efficacité prouvée, marché mondial en explosion, et promesse d’un avenir débarrassé du surpoids.

L’entreprise surfe alors sur une lame de fond : l’obsession croissante pour la silhouette, convertie en enjeu de santé publique, puis en marché de masse. Les agonistes du GLP-1 deviennent l’arme miracle de ce nouveau paradigme. Résultat : la capitalisation de Novo Nordisk dépasse brièvement le PIB du Danemark. Rien que ça.

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2025, année de bascule

Mais le sommet est aussi le début de la descente. Le 7 août 2025, le patron historique, Lars Fruergaard Jorgensen, quitte subitement la scène. Huit années à la tête du groupe, un record de brièveté pour un PDG danois. Il est remplacé par Maziar Mike Doustdar, profil plus opérationnel, qui connaît bien les circuits de vente, mais dont le mandat démarre dans la tourmente.

Car les marchés, eux, n’attendent pas. Entre l’été 2024 et l’été 2025, l’action passe de plus de 1 000 à moins de 430 couronnes danoises. Une dévaluation sèche, qui pulvérise entre 80 et 90 milliards d’euros de valeur. En mars, SAP reprend la première place du classement européen, avec 313 milliards d’euros de capitalisation, loin devant Novo Nordisk (311) et LVMH (300). Ce n’est plus une correction. C’est un déclassement.

Bras de fer perdu avec Eli Lilly

L’échec n’est pas seulement interne. Il vient aussi d’Indianapolis. Eli Lilly, concurrent de toujours, gagne la guerre des coupe-faim avec Zepbound, version améliorée de la même approche thérapeutique. Les résultats publiés en mai 2025 sont sans ambiguïté : perte de poids de 20,2 % en moyenne avec Zepbound, contre 13,7 % pour Wegovy après 72 semaines. Plus impressionnant encore : deux tiers des patients sous Zepbound perdent plus de 15 % de leur poids, contre 40 % sous Wegovy.

Dans la bataille du marché américain, le verdict est sans appel. Le 18 juillet, l’écart entre les prescriptions hebdomadaires atteint 133 000 unités en faveur d’Eli Lilly. Novo Nordisk encaisse le coup, revoit ses ambitions à la baisse. Et découvre qu’un monopole technologique n’est jamais acquis, même dans le monde de la molécule brevetée.

Le coup de grâce ? Il tombe en décembre 2024. CagriSema, présenté comme le successeur de Wegovy, promettait une perte de poids de 25 %. Il n’en atteint que 22,7 %. Un écart infime sur le papier. Mais pour les investisseurs, cela suffit : l’action plonge de 20 % en une journée. Derrière ce chiffre, une inquiétude : Novo Nordisk ne reprendra peut-être jamais la tête sur un marché désormais estimé à 105 milliards de dollars d’ici 2030 — et 150 milliards à l’horizon 2035.

L’innovation, dans ce secteur, est une course de fond avec des sprints décisifs. Novo Nordisk l’a appris brutalement.

Un questionnement éthique

Mais cette affaire dépasse la compétition financière. Ce qui se joue, c’est aussi la frontière de la médecine et du confort. Ozempic et Wegovy étaient pensés pour des patients atteints de diabète ou d’obésité sévère. Ils sont devenus, sous l’effet des réseaux sociaux et d’un marketing viral à peine déguisé, des outils d’amincissement pour personnes bien portantes. Elon Musk s’en est fait l’ambassadeur officieux, et des cliniques ont surfé sur la demande jusqu’à produire des copies à bas prix, non autorisées.

La FDA a fini par trancher, interdisant ces “compounded drugs” en mai 2025. Résultat : un léger rebond des prescriptions officielles (+33 % pour Wegovy). Mais le débat reste ouvert : où s’arrête la thérapeutique, où commence le culte de la minceur ? Et surtout, où est la frontière entre innovation médicale et dérive collective ?

Effets collatéraux : les diabétiques paient le prix fort

Comme souvent, les plus fragiles paient les conséquences indirectes. En France, l’ANSM signale le 12 août une pénurie d’insuline : Fiasp PumpCart et NovoRapid PumpCart, produits par Novo Nordisk, sont en rupture. Ces cartouches sont vitales pour plusieurs milliers de patients. En cause ? Une réallocation des lignes de production : les chaînes qui fabriquaient de l’insuline ont été converties pour conditionner les stars du moment, Ozempic et Wegovy.

Le Dr Jean-François Thébaut, de la Fédération française des diabétiques, le dit sans ambages : “Les industriels ont suivi la logique du marché.” Traduction : là où la marge est la plus forte, la production suit. Les conséquences, elles, restent à la charge du patient.

L’ANSM estime que la pénurie pourrait durer jusqu’à fin 2025.

Le modèle Novo Nordisk remis en cause

Face à cette série de chocs, l’entreprise a revu deux fois ses prévisions. Les ventes ? Attendue entre 8 et 14 % de croissance, contre 13 à 21 % auparavant. Le bénéfice ? Réduit à une fourchette de 10 à 16 %, contre 16 à 24 %. Ces chiffres ne sont pas catastrophiques en soi. Mais dans un modèle de croissance exponentielle, le simple ralentissement sonne comme un signal d’alerte.

Car au fond, Novo Nordisk a concentré sa stratégie sur un pari unique : l’anti-obésité comme nouvel Eldorado. Le pari a payé — pendant un temps. Il expose aujourd’hui l’entreprise à des pressions concurrentielles, réglementaires, éthiques… et à la volatilité d’un marché qui se transforme aussi vite qu’il s’enthousiasme.



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